Elie savourait sa journée de repos à l'hôpital. Il adorait son métier, réellement, mais cela restait pesant et très fatiguant, d'autant plus en cette période morose. Pas plus tard que la veille, la milice avait fait une autre descente à Ste Mangouste pour vérifier qu'aucun fugitif ne s'y trouvait. Ils avaient déjà saisi tout ce qu'ils pouvaient, suspects ou dossiers, et Elie s'était félicité d'avoir malencontreusement égaré celui de Cain dès lors que son nom avait été prononcé en novembre. S'il y avait bien une chose qu'il ne supportait pas, c'était de voir la secret médical bafoué, les secrets de ses patients exposés à tous. Le Prewett pouvait bien être le pire humain qu'il soit, Elie ne romprait tout de même pas sa promesse de silence pour cela. Il savait qu'un jour ou l'autre, les Spasenis finiraient par découvrir que Cain était venu le consulter à plusieurs reprises, et qu'un interrogatoire ferait certainement suite à cette découverte, mais ce jour n'était pas encore arrivé. Ils devaient avoir d'autres pistes plus évidentes et importantes qu'un vulgaire psychomage. Et pourtant, peu connaissaient le Prewett comme Elie le connaissait.
Il réprima la note douloureuse qui se coinça dans sa gorge à la pensée du fugitif. Il ne le reverrait plus, pas alors que c'était si dangereux. Voulait-il réellement le revoir, de toute façon ? La raison lui disait que non, que c'était l'occasion de tourner la page, de passer à autre chose. Cain ne ferait toujours que l'utiliser. S'il n'avait pas répondu à ses sentiments en presque six ans, il n'y avait aucune chance qu'il commence un jour. Mais son coeur s'obstinait, encore et encore. Il avait cette once d'espoir, cette attente de voir les choses changer. C'était ce qui lui permettait de continuer à avancer, tout en le brisant un peu plus chaque jour.
La librairie était calme. Depuis les événements de Loutry St Chaspoule, les gens sortaient moins et les commerces souffraient du manque de fréquentation. L'argent n'était pas une préoccupation pour Elie, mais sa librairie en consommait plus qu'elle n'en produisait ces derniers mois. Il n'était pas le seul dans ce cas sur le Chemin de Traverse. Le climat de tension qui régnait à Londres, ainsi que les nombreuses affiches placardées sur toutes les vitrines n'aidaient pas au commerce. Mais cela n'empêchait pas le jeune homme d'apprécier chaque instant passé dans son petit coin de paradis personnel. Parcourir les quelques rayonnages de sa librairie parvenait à calmer ses angoisses et ses peurs. Il laissait ses doigts courir sur la tranche des livres, en replaçait quelques uns à leur place et conseillait les rares clients. Chaque repos qu'il obtenait à l'hôpital, il les passait ici, au milieu de ce qui le passionnait. Il n'y avait que là qu'il pouvait oublier Cain, Abelam ou Elinor. Son havre de paix.
L'heure de fermeture était proche lorsque la sonnette de la boutique résonna dans l'air vide. Elie releva la tête, se tendant en voyant une figure encapuchonnée devant lui et en entendant le son distinctif de la serrure. Un cambriolage ? Non, il n'aurait pas fermé. Des questions ? Le tuer ? Mais pourquoi ? La silhouette s'avança lentement et déposa un avis de recherche sur la table. Mais les yeux d'Elie ne le regardaient même pas. Il s'arrêta sur la main, une main qu'il reconnaîtrait entre milles pour l'avoir tant de fois eu sur sa peau. Son coeur se gonfla de soulagement. «
Huit milles gallions, rien que cela. » Elie ferma les yeux brièvement au son de sa voix, n'osant relever la tête vers son visage à présent découvert. «
À croire que tu ne veux plus de moi. » Il releva enfin les yeux, croisant le regard pénétrant de Cain. Son souffle se coupa tandis que les battements de son coeur s'accéléraient dans sa poitrine. Le Prewett avait cet effet sur lui, même après des semaines d'absence. Cette envie irrépressible de lui bondir dessus et ce foudroiement qui le paralysait sur place.
Elie inspira profondément. Il était là. Il était bien là, devant lui. Il avait risqué sa liberté, sa vie, pour venir le voir. Une fois de plus, l'espoir scintilla dans ses yeux. Il saisit l'avis de recherche et le froissa avant de le jeter plus loin. «
Ils devront me passer sur le corps avant d'arriver à toi. » Ce n'était pas ce qu'il aurait voulu dire. Ce n'était jamais ce qu'il aurait voulu dire. Mais ses pensées, il les gardait pour lui. Car il savait que Cain partirait au moindre signe de sentiments. Il le savait au fond de lui. Pas de
Tu m'as manqué, ni de
Je voudrai toujours de toi. Ce n'était pas ce que le Prewett attendait de lui. Elie détourna les yeux pour cacher la lueur blessée qui y prenait place. «
J'ai détruit ton dossier médical. Ils n'ont rien sur toi. » Car quelle autre raison aurait pu pousser le Mangemort à prendre tant de risques pour venir à lui ? Il ne se faisait pas d'illusions. Cain allait repartir, satisfait, et lui resterait là, seul et dévasté. Comme à chaque fois.
Il se dirigea vers une étagère et fit semblant d'organiser le rangement des livres pour éviter son regard. Ses mains tremblaient. Frustration de ne pouvoir le toucher. Tristesse de le savoir déjà parti. «
S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire... », commença-t-il avant de s'arrêter. Il proposait son aide à un homme recherché. Sa mère hurlerait de rage et d'indignation si elle savait. Mais il était si faible, si démuni face à cet homme. «
Tu sais que je suis là. » termina-t-il dans un murmure presque inaudible. Et c'était sa malédiction, ce qui le rendait si malheureux : son incapacité à abandonner Cain, à laisser derrière tout ce qu'il représentait. Il n'arrivait pas à ne pas l'aimer.
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