Not the one you know ξ feat. Tomacyn (FB)

La décoration était criarde, de mauvais goût, et portait vivement sur les nerfs d’Aleksandr. Toutes ces assiettes accrochées au mur étaient autant d’insultes personnelles à son égard et il les couvait d’un regard noir, incapable de comprendre l’intérêt d’accrocher de la vaisselle au mur. Particulièrement quand quelqu’un à qui le talent faisait cruellement défaut avait eu la mauvaise idée d’y peindre des oiseaux multicolores. Il mourrait d’envie de les décrocher et de les fracasser contre le sol, voire contre la tête de la vieille femme qui gisait, inconsciente, sur la moquette maronnasse de son salon. Mais à quoi cela aurait-il servi si ce n’est d’attirer éventuellement l’attention des voisins.

C’est donc résolu qu’il se laissa tomber dans l’antique fauteuil qui trônait devant la petite cheminée – pathétique en comparaison, même, de la plus modeste cheminée de la demeure familiale, là-bas, en Bulgarie – et ferma les yeux. En vérité, cette pulsion haineuse envers les efforts de décoration intérieure d’une pauvre petite vieille femme moldue n’était qu’une façon de projeter quelque part son stress à l’idée de revoir Tomacyn après les événements de Loutry-Ste-Chaspoule. S’il était vrai que sur le moment, galvanisé par l’instant, il n’avait pas réfléchi à l’impact de la révélation de son appartenance aux mangemorts sur la jeune fille, il avait, depuis, eu le temps d’y penser plus qu’à loisir. Bien entendu, il refusait fermement de s’admettre qu’il angoissait, ne serait-ce qu’un peu. Cela aurait été un aveu de faiblesse à lui-même qui lui aurait coûté bien trop cher au vu de sa situation actuelle. Si la jeune Malfoy faisait le bon choix – celui de se joindre à la cause –, alors, certes, il en serait très heureux, mais Aleksandr n’oubliait pas, jamais, où allait sa fidélité. Comme il l’en avait déjà menacée à Halloween, il était prêt à faire ce qu’il fallait pour ne pas compromettre Jedusor ou ses camarades. Seulement, une petite part de lui, récalcitrante à son envie de l’étouffer complètement, espérait ardemment que Tomacyn fasse le bon choix.

Le subtil grincement de la porte d’entrée qu’il avait sciemment laissée déverrouillée le tira de ses réflexions avec un léger sursaut et, bien que son coeur battit en réalité avec une insistance désagréable contre sa cage thoracique, il se força à rester en place, les mains croisées sous le menton pour se donner, il l'espérait du moins, une certaine contenance.

Lorsqu'elle apparut dans l'embrasure de la porte, néanmoins, Aleksandr s'était levé sans même s'en rendre compte et son visage exprimait vaguement son mécontentement d'éprouver une nervosité qui n'avait pas lieu d'être. Aussi la fixa-t-il un moment en silence, grand, élégamment vêtu malgré les circonstances, semblable à lui-même si ce n'était peut-être, de légères cernes sous ses yeux, et cet air de bravade et d'effronterie qu'il ne cherchait désormais plus à dissimuler et qui se mariait, du reste, curieusement bien aux traits de son visage.

« Tu es venue. » finit-il par constater platement.

Sa vie s’était muée en une sorte de kaléidoscopes de scènes décousues dont elle avait perdu le contrôle, parfois entrecoupées d’images qui la prenaient au tripes, projections terrifiantes de ses angoisses quant aux possibilités à ce que tout empire. Car ça pouvait être pire. Si jusqu’à il y a six mois – peut-être même moins, elle commençait à perdre le compte des jours et des mois qui défilaient en fondu enchaîné – Tomacyn avait une vision assurée et confiante sur son rayonnant futur, la situation avait radicalement changée. Depuis qu’elle avait décidé de lui mettre le grappin dessus. Mauvais choix. Mais comment aurait-il pu savoir qu’il était un Mangemort ? Qu’il ne suivait pas la voie dorée tracée par son père ? Silène n’avait pas su le voir, pas su le comprendre. Il y avait peut-être des signes qu’elle n’avait pas vu. Elle s’était repassé leurs nombreuses entrevues – professionnelles, amicales, intimes – dans sa tête jusqu’à ce que tout se brouille, avant qu’elle ne puisse en tirer quoique ce soit. Elle avait de grands projets, Tomacyn, pour se propulser dans les hautes sphères et la clé en était Aleksandr. Or, sa chère clé n’ouvrait certainement pas la porte qu’elle avait en vu. Au contraire, la Malfoy s’était retrouvée noyée, submergée, acculée. Elle était même devenue suspecte. Elle avait tout perdu avant même de gagner quoique ce soit.

Mais le pire dans cette histoire, c’est qu’elle l’aimait.

A le fréquenter, Tomacyn s’était attachée au Karkaroff, jusqu’à développer quelque chose de plus profond. Ça l’avait effrayée au début, mais elle s’était convaincue que c’était peut-être une bonne chose. Et puis il avait trahi. Ses sentiments étaient devenus une marque au fer rouge, brûlante et disgracieuse, plus cuisante encore que le sortilège Doloris que le Bulgare lui avait lancé lors de l’attaque de Loutry-St-Chaspoule. Si cette douleur là, quoiqu’intense, avait été passagère, ce n’était pas le cas de ses stupides premiers émois contrariés.

Et puis il y avait eu le message. Anonyme. Mais elle savait que c’était lui. Aleksandr lui donnait rendez-vous et elle avait dû décrypter un jeu de piste compliqué afin d’en trouver le lieu. Elle s’était dit qu’elle ne chercherait pas. Elle avait cherché. Et s’était dit qu’elle ne viendrait pas. Pourtant, elle était devant la porte de la maison moldue qui était supposée être leur lieu de rencontre si elle avait bien devinée, drapée dans une cape noire, capuchon rabattue sur la tête. Son cœur battait fort contre ses côtes, si fort qu’elle crut un instant qu’il allait les briser à force de s’y cogner si furieusement. Le bout des doigts posés sur la poignée, en suspens, Tomacyn hésitait. Il était encore temps de revenir en arrière, de ne pas s’enfoncer davantage dans ce bourbier. Pourtant, d’une légère poussée, l’estomac dans la gorge, la jeune femme ouvrit la porte. Le battant grinça. Il avait forcément entendu. Plus moyen de revenir en arrière.

Le visage pâle comme la mort, elle franchit le seuil en retirant sa capuche. Tomacyn prit la peine de refermer derrière elle avant qu’il ne se fasse face en silence, lui avait insolence, elle avec gravité. Elle n’avait pas envie de fanfaronner, la Malfoy. Il était loin cet temps-là… Le voir là en chair et en os après tout ce temps la mettait dans tous ses états et elle eu du mal à ne pas s’effondrer. Aleksandr fut celui qui prit la parole en premier : « Tu es venue. » Ce à quoi, après un instant d’immobilité, Tomacyn répondit par un hochement de tête. Elle se demandait toujours pourquoi elle était venue. Mais aussi, pourquoi il n’avait fait venir. Aussi murmura-t-elle car seul un filet de voix pouvait sortir de sa gorge comprimée par l’angoisse : « Pourquoi ? »