première partie
Il n'aime pas cet homme qui enlace sa mère, Atticus. Il le méprise, lève les yeux au ciel dès qu'il daigne prononcer quelques mots. Une dizaine de jours à peine que vous étiez venus vivre chez lui, dans son palace. Dix jours de trop. Le nouvel homme dans la vie de la mère Zabini, cette femme toujours célibataire que l'on regarde d'un mauvais oeil, cette femme de mauvaises moeurs. Il a perdu le compte Atticus, oublié combien d'hommes elle leur a déjà présenté, oublié le visage du père de Boethia, celui de son propre père. Oublié leurs noms, même. Des choses qui sont devenues sans importance. Les hommes ne restaient jamais. Tous finissaient par se débarrasser de leur mère comme l'on jette un mouchoir après usage; tous finissaient pas les renvoyer dans le taudis dont ils viennent. Elle n'est pas des celles auxquelles l'on force l'anneau au doigt, la Zabini. Et puis, deux enfants c'et encombrant. Personne n'accepterait de les prendre à charge sur le long terme. Elle ne voit rien, la mère Zabini. Refuse d'écouter ses enfants lorsqu'ils la voient foncer droit dans le mur. Même lorsque la même histoire continue de se répéter, années après années. Un jour peut-être, comprendra-t-elle enfin.
Mais du haut de ses neufs ans, Atticus a d'autres soucis. Si bien qu'il en vient à ignorer cet homme infâme qui cherche à gagner leurs faveurs - incapable même de parier sur le temps qu'ils passeront chez ce
Landon avant qu'il ne les renvoie dans leur appartement miteux de la banlieue londonienne. Non tout ça, il s'en fiche Atticus. Parce qu'il n'a toujours pas démontré la moindre preuve de magie. Et c'est la frustration qui se propage dans ses veines d'enfant déçu, effrayé. D'enfant avide de connaissances, rêvant d'école de sorcellerie depuis qu'il est en âge de marcher. Et la mère qui lui adresse des regards bienveillants, compatissants. «
Ne t'en fais pas pour ça. Les pouvoirs de ton père aussi se sont éveillés plus tard. »
Mais qu'en sait-elle? Elle a sans doute elle aussi oublié l'identité du père, ce à quoi il ressemble. C'est du moins ce qu'il pense Atticus, à chaque fois qu'elle les compare. Il a son regard, son sourire. Le même caractère que lui.
Elle ment comme elle respire. Qualité qu'elle aura malgré elle transmise à ses rejetons. Pourtant cette fois, il choisit de la croire. Dernier espoir d'un enfant qui ne veut pas être différent, d'un enfant qui refuse que ses souhaits ne soient pas entendus. Mais la matriarche aura tort, une fois de plus. Il n'est pas fait pour pratiquer la magie, Atticus. Ses gènes le lui interdisent.
deuxième partie
L'enfant jaloux qui observe sa petite soeur et les étoiles qu'elle a dans les yeux. L'enfant jaloux qui n'arrive pas à se réjouir pour sa tendre Boethia. Alors il préfère détourner les yeux, les poings toujours serrés.
Poudlard. Le rêve qu'on lui a trop tôt arraché. Quinze ans et aucune lettre arrivée. Quinze ans et ses capacités magiques toujours endormies.
Fichu cracmol, sorcier raté. Ses prunelles se promènent autour de lui, scrutent avec attention le moindre détail de la scène qui se déroule sous ses yeux. Il ne veut rien oublier, Atticus. Il veut se souvenir de cet instant comme s'il n'appartenait qu'à lui, comme si cela lui permettrait plus tard d'inventer mille et une histoires sur sa scolarité à Poudlard. Des familles qui s'embrassent pour la dernière fois avant des mois, le regard un peu humide ; des enfants, des adolescents qui traînent leur valise derrière eux, heureux de retrouver leurs amis après un long été. Une foule d'inconnu qui se presse autour de lui, sans lui prêter attention. Pas un seul visage connu. Et son coeur se serre, à Atticus, lorsque son regard voit celui de leur mère, empli de fierté. Parce que depuis cinq ans, ce n sont que des sourires forcés qu'on veut bien lui offrir à lui.
Désolée. Les excuses muettes de la mère.
Désolée que tu sois différent. Enfant de sorciers obligé de fréquenter une école moldu pour ne pas traîner dans les pattes des parents toutes la sainte journée, enfant auquel on inculque une culture générale qui ne lui serait jamais d'aucune utilité - car malgré l'absence de gènes magiques, il refuse de croire que sa place est auprès de vulgaires moldus. Créatures ennuyeuses qui ignorent tout de la beauté de ce monde-ci, préférant le football médiocre au plus noble quidditch. «
J'espère que nous n'avons rien oublié. » La voix de la mère ; stressée, anxieuse à l'idée de laisser partir la benjamine de la fratrie. Il n'est qu'un spectateur aujourd'hui, Atticus. Fantôme errant aux côté de sa génitrice sans que personne ne fasse attention à lui. Il se demande presque pourquoi il a tant insisté pour les accompagner -
parce qu'il voulait rêver, parce qu'il voulait voir les choses merveilleuses qui sont hors de sa portée.
Enfant maudit. Sa soeur esquisse quelques pas vers lui et se saisit de ses mains, un gros sourire sur les lèvres. «
Je t'écrirai tous les soirs. Ce sera comme si tu y étais aussi. » Le coeur n'y est pas, mais il sourit tout de même, incapable de faire de la peine à la petite dernière. La petite princesse de onze ans va enfin trouver une demeure à la hauteur de sa personne. Château princier qui l'abriterait au cours des sept années à venir. Il est content pour elle, dans le fond. Il aurait juste aimé pouvoir l'accompagner, lui le laissé pour compte. L'enfant qui devrait se satisfaire du peu que leur mère pourrait lui offrir. L'enfant miséreux, l'enfant malin rêvant d'une grandeur qu'il n'obtiendrait jamais.
Le Poudlard Express tire un coup de sifflet ; plus que cinq minutes avant le départ. L'heure des dernières embrassades. Boethia monte dans le train avec sa vieille valise alors que vous vous faites vos au revoir. Il n'a jamais été séparé de sa soeur très longtemps, Atticus. Tout au plus trois ou quatre jours, lorsque son école moldue l'emmenait en voyage scolaire. Alors dix mois, ça lui parait affreusement long. Le train démarre, commence à s'éloigner. Et en quelques minutes à peine, le convoi n'est plus qu'un minuscule point à l'horizon. Le quai commence peu à peu à se vider et Atticus peut d'ors et déjà sentir quelques regards lui brûler la nuque. Jeune adolescent mis à nu par les adultes qui l'entourent. Ils savent ce qu'il est ; ils l'ont compris. Quelle autre raison pousserait un garçon de quinze ans à rester à quai si ce n'est parce qu'il est cracmol ? Enfant aux vêtements rapiécés, enfant sans magie.
Sa place n'est pas ici non plus, dans cet endroit où on le prend en pitié. Alors sa mère le prend par la main pour l'éloigner des vipères, pour le ramener dans leur misérable foyer. La mère célibataire et son cracmol, de ceux qui s'attirent le mépris du monde sorcier.
Mais un jour, la roue finira par tourner. Il se le promet, Atticus.
Un jour, ce sera lui qui pourrait les regarder de haut.
troisième partie
Ils parlent mais Atticus préfère les ignorer. Il ne s'est jamais vraiment intégré, il n'a jamais cherché à le faire. C'aurait été inutile.
Un jour ou l'autre, leurs chemins étaient voués à se séparer. Parce qu'il ne compte pas faire de vieux os ici, Atticus. Ca n'a jamais été dans ses intentions. C'est à contre-coeur qu'il a accepté qu'on l'envoie étudier dans une école moldue, mais les choses ont toujours été claires : une fois sa scolarité obligatoire terminée, il retournerait parmi les siens ; il retournerait dans le monde qui l'a vu naître. Il se fiche bien de ces pathétiques êtres sans pouvoir et de leur société sans magie.
Pathétiques comme lui. «
Et toi, tu sais déjà ce que tu vas faire l'an prochain? » Il lève les yeux, surpris qu'on lui adresse la parole. Il n'a pas d'amis, a toujours préféré instaurer une distance raisonnable entre lui et ses camarades, qu'il juge indignes de son attention. Il hausse les épaules cependant, endossant le rôle qui était le sien depuis quelques années. «
J'hésite encore. » Demi-mensonge. Il ne sait pas encore où sera sa place à son retour, il ne sait pas quel emploi l'on voudra bien accordé à un cracmol. Mais ça, il ne peut pas le dire. On ne le comprendrait pas, on le croirait fou.
Les pauvres, ils ne savent pas ce qu'ils ratent. Ses professeurs le trouvent intelligent, sont persuadés qu'il pourrait réussir à décrocher une bourse pour continuer ses études ; ses camarades le voient déjà médecin ou avocat. Mais tout ça ne l'a jamais intéressé. Il aurait préféré être médicomage plutôt que médecin, membre du magenmagot plutôt qu'avocat. Chimères irréalisables d'une existence trop injuste.
Et lorsqu'il rentre à la maison, c'est la même rengaine. Une mère fière des excellentes notes de son fils, qui se renseigne déjà sur les possibilité de bourses moldues. Le statut de cracmol de l'aîné depuis longtemps accepté, elle en est presque venue à le considérer comme un simple moldu. À lui parler comme si le monde sorcier n'existait pas.
Parce qu'elle pense que les choses seront plus facile pour lui ainsi. L'enfant prodige, promis à un brillant avenir parmi les gens non dotés de magie ; ses capacités réduites à néant s'il décide de revenir parmi les sorciers. Potentiel ingénieur qui a pourtant autant de valeur qu'un elfe de maison lorsqu'on le place du mauvais côté de la frontière, du côté dont il a pourtant toujours rêvé. «
Je ne veux pas de cet avenir là, maman. » Il se défend dès que sa mère lui en parle, tente de le raisonner. «
Ma place est auprès de Boethia et toi, tu le sais. » Ils ont toujours rêvé d'argent pourtant, les Zabini. Ils ont toujours rêvé de s'élever, de gagner en importance. Mais il est incapable de se résoudre à ce genre de futur, Atticus. Boethia et lui sont bien assez malin ; il est persuadé qu'ils réussiront à s'enrichir sans qu'il ne doive tout abandonner.
quatrième partie
Ses doigts jouent avec sa plume alors qu'il écoute les plaintes du couple, installé de l'autre côté du bureau. Les enfants disparus, emportés par les conflits qui touchent l'Angleterre sorcière depuis plusieurs années déjà. Seul le benjamin survit encore, alors que la maladie menace pourtant de l'emporter. Enfant faible, cloué au lit. Les médicomages ne lui donnent pas plus de quelques semaines à vivre sans un traitement adapté. Il est leur dernier espoir, Atticus. Il s'est présenté à leur porte avec une solution, proposant son aide alors que le couple n'avait plus aucun espoir.
Parce qu'il connait le remède à cette maladie, parce qu'il a les moyens de leur venir en aide. Ou c'est en tout cas ce qu'ils croient. «
Vous avez tout ce qu'il faut? » Ils acquiescent en silence, avant de sortir une bourse pleine de leur poche et de la faire glisser vers lui. Il l'entrouvre et fait glisser les gallions entre ses doigts, comptait silencieusement la somme qu'on lui offre. Et puis, un signe de tête, avant d'ouvrir l'un de ses tiroirs et d'en sortir un formulaire qu'il tend au couple. «
Si vous voulez bien lire le contrat. » Il les abandonne l'espace de quelques secondes, le regard perdu, attiré par les pièces d'or qui dépassent de la sacoche.
Il n'avait aucun avenir parmi les sorciers, disaient-ils. Et pourtant, le petit cracmol a réussi à se faire sa place, à trouver une manière de s'insérer parmi les sorciers ; prétendant être l'un des leurs, prétendant pouvoir se servir de cette baguette factice qu'il ne quitte jamais.
La femme relève ses yeux larmoyant vers elle alors que son époux se saisit de la plume, prêt à vendre son âme au diable. «
Vous pourrez vraiment soigner notre fils avec cet argent? » Un sourire bienveillant s'installe sur les lèvres d'Atticus alors que sa main saisit doucement celle de sa cliente. Comme pour la rassurer.
Mais elle ne se rend pas encore compte qu'ils sont en train de commettre une terrible erreur. «
Ne vous en faites pas. Grâce à votre contribution, je serai capable de vous faire parvenir les médicaments dont votre enfant a besoin. » Elle sourit, soulagée, avant de faire un signe de tête en direction de son mari, comme pour lui permettre de signer le parchemin qu'il tient entre ses mains. Une fois la chose faite, Atticus roule le parchemin et le range dans un second tiroir, de l'autre côté de son bureau. Puis les clients se lèvent, visiblement satisfaits, pour serrer la main de leur sauveur, ce
monsieur Underwood arrivé de nul part et sans qui ils étaient voués à enterrer leur dernier enfant. Et Atticus les remercie de tout son coeur, un large sourire sur ses lèvres.
Sombres idiots. Dans sept jours, ils reviendront chercher le traitement tant attendu. Mais dans sept jours, il ne restera plus rien de ce bureau. Il sera vide, comme s'il n'avait jamais existé. Leur argent emporté, toute preuve de l'arnaque détruites. Plus aucune trace d'Underwood.