Leach | It's a wonderful world when you know who you are

Le jour où il devint un infiltré« - Ah, Nobby. Entre. Le chef t'attend. » La bourrade de O'Donnel, son formateur, redonna un de courage au jeune Nobby. Cela faisait trois ans qu'il était entré chez les Aurors. Il avait vite appris, fait preuve d'initiative, avait montré qu'il pouvait réussir et participer à des opérations dangereuses. Pour autant Norbert connaissait le manque de complaisance de ses supérieurs pour les nés-moldus comme lui. Ça se passerait bien, lui avait assuré Evelyn, sa femme. Mais Evelyn était sang-mêlée et naturellement plus optimiste que lui. Il espérait​ qu'elle ne passait pas de journées trop dures à s'occuper seule de Constance, leur fille. Ni à se focaliser trop sur chaque émotion qu'elle percevait. Cela la déchirait, et il souffrait pour elle. Le bureau était à l'image de leur supérieur, austère. Ce dernier lui désigna un siège en face de lui et de O'Donnel.

« - Mike me parle beaucoup de vous. En bien. » Froncement de sourcils. Les yeux sombres devisagèrent pensivement Nobby, comme pour le sonder. « - Je suis flatté, monsieur. Mais j'ai peur de ne pas comprendre...» L'autre ouvrit un dossier. « - Cela va venir. » Il tournait méthodiquement les pages du dossier. Sa vie, songea le jeune auror, résumée en quelques mots précis et banals.

Que savaient-ils, eux ? Il était plus que ce dossier. Il était né à Pondichéry dans une famille progressiste. Il se souvenait peu de son père sinon par quelques photos, mais Norbert gardait de son paternel une image d'un homme solide et rassurant. Pacifique et épris de justice. Persuadé que la guerre ne durerait pas. Herbert Leach, juge respecté de Pondichéry, était mort dans les premiers mois de la Grande Guerre, laissant derrière lui un fils âgé d'à peine douze ans, John, à la tête de sa famille, responsable de ses deux frères, Norbert et John, âgés eux de six et un an. Florence, leur mère, fit de son mieux pour les élever. Femme douce mais engagée, elle modela ses enfants à son image au moins sur le plan moral.

« - Vous êtes né-moldu, je crois, Norbert ? » Froncement de sourcils. Les moqueries avaient plu sur lui et John à Poudlard. Il ne les supportait que très difficilement. Quand le sous-directeur Dumbledore était venu les voir en 1919, dans la maison de Birmingham où ils avaient aménagé à la fin de la guerre, Nobby avait été content de voir qu'il n'était pas fou et qu'il y avait une explication rationnelle aux phénomènes étranges qu'il déclenchait. Il avait vécu avec enthousiasme son entrée dans le monde sorcier. Poudlard lui avait paru magnifique. Il y avait rencontré des gens biens. Evelyn en premier lieu. Et puis d'autres encore, qui restaient ses amis encore aujourd'hui. Mais Nobby Leach avait aussi appris à résister et à répondre à toutes sortes de moqueries, venant des enfants de vieilles familles sorcières. Lui ça allait. Il savait se défendre, mais John, derrière sa grande gueule l'avait mal vécu. De son côté, Nobby ne supportait pas qu'on le ravale à ce qu'étaient ses parents. Il estimait n'avoir rien à prouver à personne. Oui, il s'était marié jeune - dévergondés qu'ils étaient, jurait leur vieille voisine, Evelyn était enceinte avant le mariage et la cérémonie avait été un peu précipitée​. Bon. Mais ils s'aimaient. Le couple Leach élevait sa fille du mieux qu'il pouvait. Ils faisaient un peu la fête, avec John, avec des amis sorciers et moldus. À cheval entre deux mondes, ils luttaient contre un monde sorcier ultra-conservateur et un monde moldu perpétuellement en crise ou au bord de la guerre.

Autant dire que la question, oui, faisait se serrer les poings de Norbert Leach. Pour la première fois, le chef des aurors se mit à rire.« - Ce n'est pas une accusation, mon garçon ! Mon propre père était un né-moldu. Ce que je voulais dire, c'est que vous possédez, en plus d'un caractère et de compétences intéressantes, une faculté d'adaptation nécessaire pour la mission que j'entends vous confier. » Il marqua une légère pause. « - Je voudrais vous proposer un rôle d'agent infiltré, Norbert. Je crois que ça marchera très bien. »

Le jour où il perdit sa femme. Oh, il ne pensait pas que tout cela devait finir ainsi. Sa petite fille accrochée au bout de son bras, avec son visage triste, à la fin d'un enterrement. Il ne pensait pas que son frère allait mourir, ni sa femme se donner la mort. Le temps était pourtant à la guerre, dans le monde moldu. Il fallait bien se douter, que John, militaire de carrière, son frère, pouvait bien y laisser la vie. Mais Norbert ne l'avait pas imaginer, pas plus que son frère Andrew, que leur aîné pourrait mourir un jour. John était un aviateur doué, oui, mais pas seulement. Il était leur frère, leur ainé, celui qui les avait élevé et protégé quand leur père était mort, celui qui bougonnait parce que lui n'avait aucun pouvoir magique, celui qui râlait parce qu'il n'avait plus personne à aider parce que ses deux petits frères se débrouillaient si bien sans lui. Il s'était réfugié dans le travail pour oublier ça. Oublier cette catastrophe, le Blitz, la mort. Et puis dans la fête. Il allait mal, Nobby Leach, mais il continuait à faire son boulot du mieux qu'il pouvait, avec rage et la conviction de lutter contre l'injustice la plus profonde. Mais il n'allait pas bien, il rentrait de moins voir Evelyn et Constance, restant absent si longtemps que souvent, Andrew lui même se demandait ce qu'il se passait. Il ne voyait pas le mal qu'il faisait autour de lui, ni l'inquiétude. Il avait juste dans l'idée que se plonger jusqu'au coup dans la noirceur pour la combattre, alors qu'elle le révulsait, lui permettrait de toucher du doigt ce qu'avait vécu John lors de ses derniers instants, mourant seul dans un cockpit en flammes.

Norbert n'avait pas réalisé à quel point Evelyn le regardait souffrir et en souffrait elle-même. Elle était empathe, sa femme. C'était déjà un fléau pour elle à Poudlard. Elle l'assumait avec courage, avec force, mais parfois, les émotions étaient trop fortes, et elle s'effrondrait. Il avait toujours été là pour elle, mais pas cette fois là. Il était trop empêtré dans son propre malheur. Evelyn ne l'avait pas supporté, supposait-il. Il confia un instant Constance à sa mère, venue pour l'occasion, marchant un peu avec Andrew loin de tous. « - J'aurais du voir ce qui se passait, pas vrai ? Oui, j'aurais du voir...»« - Nobby, écoute... » Andrew faisait de son mieux pour l'aider, mais ce n'était pas si facile. Il n'avait que vingt-cinq ans et c'était un jeune diplomate brillant mais il était jeune. « - Non. Tu sais, on était peut-être condamnés, dès le départ. Je ne sais pas, peut-être que nos jours étaient comptés, au final. » « - Mais qu'est-ce-que tu racontes, mon vieux ? Je ne comprends rien à ce que tu dis...»Il regarda son frère, tenta de faire bonne figure, et les larmes se mirent à couler. « - Je vais pas y arriver, Andy, je vais pas y arriver. Je tiendrais pas le coup plus longtemps. Je suis battu. Je voudrais tomber à genoux et demander pardon pour tout ce que j'ai fait, pardon pour ma vie, pour ne pas avoir réussi à la sauver, mais il est trop tard, et il y a plus personne pour écouter. » C'était de la rage. C'était ce qu'elle faisait aux hommes. Il voulait pleurer, foutre son poing dans un mur. Surtout il rêvait de son ancienne vie, et de sa vieille maison, et de jours enfuis.

Les premiers jour de la guerre. « - Si la guerre n'éclate pas...» Il se prit un peu à rire, le chef-adjoint des aurors. Nobby Leach venait de prononcer la même phrase que bien de ceux qu'il dirigeait, qui ne croyaient déjà plus en rien. Il parlait ainsi à son frère, qui évoquait avec lui la mort de Dumbledore. Il fallait bien que Grindelwald soit arrêté. La guerre allait éclater. Il se reprit. « - Il va falloir faire notre possible. Je ne sais pas quand, ni comment, mais on ne pourra pas rester. Il faut partir, partir dans le monde moldu, Andy. » Son frère n'était pas vraiment un combattant. Il ne pourrait pas faire grand chose avec Lux. Mieux valait qu'il retourne de l'autre coté de la barrière. « - Et toi, tu vas faire quoi ? Avec Constance, et sa fille, et tout ? » Il sourit, et proféra un mensonge : « - Je vous rejoindrai, je la convaincrai. Tout ira bien. » Sa trahison avait commencé là. Mais Nobby ne pouvait pas expliquer à son frère ce qui se passait, pas tout. Sa vie officielle était déjà compliquée, il ne pouvait pas en rajouter une couche en expliquant qu'il était membre de Lux. Officiellement, il allait envoyer sa petite-fille, Esperance, à son arrière-grand-mère, en Inde, et fuir lui aussi dans le monde moldu. Et convaincre sa fille de les rejoindre. Elle était comme devenue folle, transie amoureuse d'un homme plus vieux qu'elle, qui lui avait une gosse, la battait, et était pro-Grindelwald. Norbert ne comprenait pas, même si elle n'avait pas totalement rompu les liens avec lui, de quoi elle le punissait en faisant ça. « - On va pas avoir beaucoup de contacts, gamin, mais ça ira. Hein, ça ira ? » Il lui flanqua une bourrade amicale. Leach espérait que ça irait. Pour eux tous. Quel gâchis, non d'un chien ! Des années à lutter en tant qu'auror, à surveiller tout le monde, y compris le foutu groupe de Jedusor, pour finalement en arriver à se faire envahir par un foutu bulgare, bargeot complet. Des années à s'élever, à sacrifier des choses, à se battre, à arriver à quitter sa condition de simple agent pour quasiment diriger le bureau, et il en revenait là. A fuir. C'était d'une tristesse.

Le jour où il redevint un espion. « - Je ne connais personne d'autre capable de mener cette mission, Leach. je vous ai vu sur les quelques escarmouches auxquelles vous avez participé pour nous cette année. Je sais aussi que vous maitrisez l'occlumancie, le boulot d'agent double vous connait. Je vous le demande comme un service, Nobby. Nous avons besoin de vous là-bas. L’entièreté du conseil d'administration vous le demande. Il nous faut un agent double au plus près de leurs décisions. » Il savait qu'on lui demanderait un jour ou l'autre de reprendre ce boulot. Il le savait et ne cherchait pas à le fuir. Nobby Leach n'avait plus rien à perdre, ni à gagner, sinon au mieux de délivrer et d'ouvrir les yeux de sa fille. « - Il va me falloir un temps de préparation. Quelques mois, un an. Et inventer une histoire crédible. Officiellement, je ne pense pas que quelqu'un aie compris que j'avais rejoint Lux. Je pense pouvoir faire le crétin né-moldu qui a finalement décidé de rentrer dans le rang. » « - Pensez-vous qu'ils vous croiront ? » « - Éventuellement. Je pense avoir trouvé un moyen de les convaincre de ma bonne foi. Mon frère Andy est actuellement caché du côté moldu. Je le dénoncerais. Vous le récupérez. Ne dites à personne la vérité. Si les membres l'apprennent, ils seront en danger et moi aussi. S'ils me détestent tous, ça me rendra plus crédible. Il faudra le strict minimum d'intermédiaires. » « - Vous allez être seul, là-bas, Nobby. » Leach eut un très léger sourire. « - On est toujours seul, monsieur. »

La nuit avant le jour où il se rendit.Tu t'étais assoupi devant la télé mais tu ne t'étais pas encore couché quand t'as appelé. Je dormais, ou presque, quand le téléphone a sonné. T'avais envie de me dire que t'avais fait une fête. Et que je vous avais manqué. C'était comme au bon vieux temps, t'as dit, avant de rire.

Le dîner a été catastrophique. Tout le monde était ivre mort quand la bouffe a été sur la table. Les gens s'amusaient bien, s'amusaient comme des fous, comme des malades, jusqu'à ce qu'un type s'avise d'emmener la fiancée d'un autre type à l'étage. Alors l'autre type a sorti un couteau.

Mais tu t'es mis devant le mec quand il montait l'escalier et tu l'as convaincu de redescendre. Catastrophe évitée de peu, t'as dit, avant de rire encore. Tu te rappelais pas grand chose d'autre de ce qui s'était passé après ça.

Les gens avaient remis leurs manteaux et commencé à s'en aller. Toi tu as t'endormir quelques minutes parce qu'elle te gueulait d'aller chercher un verre quand tu t'es réveillé. Quoiqu'il en soit, t'es à P... et moi ici, dans ce petit patelin à l'autre bout du pays. Quasiment tout le monde a disparu de nos vies à présent. T'as eu envie de m'appeler pour dire bonjour. Pour dire que tu pensais à moi et au bon vieux temps. Pour dire que je te manquais.

C'est là que je me suis souvenu de ces jours enfuis où les téléphones tressautaient quand ils sonnaient. Et des gens qui déboulaient aux petites heures du matin pour tambouriner à la porte à bout de nerfs. Sans parler de l'état des nerfs à l'intérieur. Je me suis souvenu de ça, et des fameux gueuletons. Des couteaux qui trainaient dans l'attente du grabuge. D'aller me coucher en espérant que je ne me réveillerais plus.

Je t'aime, frangin, t'as dit. Puis un sanglot est passé entre nous. J'ai serré le combiné comme si c'était le bras de mon pote. Et j'aurais voulu pour nous deux pouvoir refermer mes bras sur toi, mon vieux copain. Je t'aime aussi, frangin. J'ai dit ça, puis on a raccroché.

Une journée en enfer Un jour de plus à servir le Diable. A côtoyer des démons. Un jour de plus au service de Reagan Macmillan, véritable prison où ses mouvements étaient limités par tout. Voir, et pas agir, tel était le rôle de l'infiltré. Nobby aurait tellement voulu faire plus, comme toujours. Il faisait ce qu'il pouvait. Par miracle, le boulot de son garant l'ennuyait. Devenu sorte de super assistant, Norbert pouvait passer, lorsqu'il en avait l'occasion, des tas d'informations intéressantes et auxquelles il n'était sûrement pas prudent de lui laisser accès. La ruse avait fort bien pris, après tout. Il en était content. Mais parfois, trahir était difficile. Il regardait autour de lui, observait, c'était son rôle. Il était là depuis longtemps, maintenant, jouant le rôle d'ordonnance, de cuisinier en chef, d'aide de camps, de tout. Et parfois, il les regardait en se surprenant à leur trouver visage humain. Et c'était là, précisement, ce qu'il aurait fallu éviter, sans doute.