(aleksei); éviter les roses

« Parlez-nous un peu de vous. Si vous deviez vous décrire en quelques mots, que diriez-vous ? » Il croise les bras, la tête légèrement penchée vers l'avant, son regard d'un bleu acier rivé sur la journaliste. Une mèche de cheveux aussi noirs que le corbeau lui tombe devant les yeux. Il soupire un peu, l'air profondément ennuyé. « Et si je vous dis que je ne veux pas, hm ? Vous allez faire quoi ? » Il hausse un sourcil, hausse les épaules, détourne le regard. « Je suis pas doué pour ce genre de choses, vous savez. J'ai l'air d'un type désintéressé de tout, mais, au fond, je sais pas qui je suis. Pas vraiment. C'est dur de grandir dans une famille de six gosses sans y laisser son identité. Je suis pudique, réservé, et peut-être un peu romantique, j'avoue. Ça crée quelque chose de mystérieux. Ça attire les filles, et les ennuis. C'est pour ça que j'ai l'air blasé tout le temps. Ça éloigne les gens. Pourtant, Merlin sait que je ne suis pas résumé que par ça. » Il passe une main rageuse dans ses cheveux noirs. « Vous voulez des mots ? Très bien. Déterminé. A la limite du têtu en fait. Sarcastique. Cynique. Railleur. Moqueur. Courageux -ça fait très peu modeste, mais je supporte beaucoup, beaucoup de choses sans broncher, et je ferais tout pour mes proches. Extrêmement loyal et protecteur. Perspicace. Borné - je crois en mes valeurs, et rien ne me détournera de celles-ci. Satisfaite ? » De nouveau, il hausse un sourcil, et un sourire en coin se dessine sur ses traits. Vérité ou mensonge ? Elle ne sait pas. Le masque, tombé un instant, est revenu sur le visage du jeune homme, bien plus fort qu'avant.

« Grindelwald domine l'Angleterre et la Bulgarie depuis 6 ans. En quoi cela a-t-il influé sur votre quotidien ? » Il lui jette un regard interloqué. « Sur mon quotidien ? » L'étonnement est perceptible dans sa voix. Pourquoi lui demande-t-on ça ? « Ça n'a rien changé. Et en même temps, ça a tout changé. Ma grand-mère maternelle est moldue, et j’ai beau prétendre le contraire, je suis très proche de ma famille -j’inclus mes amis dans cette considération aussi, c’est vous dire. Pour moi, la famille se forme par les liens du cœur plus que par les liens du sang. Mais enfin bref, j’adore l’entendre parler de sa jeunesse, de ce monde que je connais trop peu à mon goût. C’est elle qui m’a donné envie d’être Oubliator : je peux découvrir le monde moldu, et protéger aussi bien les sorciers que les moldus. Ce métier représente plus qu’un moyen de gagner de l’argent ; c’est une passion, une force qui me motive à continuer. » Un léger sourire fleurit sur ses lèvres, et on devine à la façon dont son regard se perd dans le vague qu’il est sincère, et qu’il laisse filtrer ses émotions, chose ô combien rare. « Pour en revenir à votre question, l’arrivée de Grindelwald au pouvoir n’a pas changé grand-chose de visible dans ma vie. Cela dit, la plupart des Yordanov a choisi de se rallier à l’organisation de Lux, étant de base des sympathisants de Dumbledore. Je suis resté neutre par volonté de protéger mes proches. Sans compter que je pense que ni les Mangemorts, ni les membres de Lux ne pourront renverser Grindelwald. En tout cas, pas tant que ce n’est pas leur objectif numéro un, pas tant qu’ils ne mettent pas leurs différends de côté, pas tant que les intérêts de chacun sont en conflit. Ma grand-mère a dû quitter sa famille pour se réfugier dans le monde moldu. J’ai vu des gens mourir. J’ai vu mon frère mourir, mon oncle mourir, ma petite amie mourir. Sous mes yeux. Tous les trois. J’ai bien failli y passer. » Son regard se fait insolent alors qu’il le plante dans celui de la journaliste, de plus en plus éberluée. « Mais non. L’arrivée de Grindelwald au pouvoir n’a pas changé mon quotidien. »

« Vous voyez un passant dans la rue se faire malmener par deux Spaseni, serviteurs de Grindelwald, que faites-vous ? » Le regard se fait prudent, méfiant. « Putain, c'est quoi, un interrogatoire ? J'en sais rien moi. Tout dépend. Enfin je sais pas. Disons que j'aurais tendance à voler au secours de la veuve et de l'orphelin -autrement dit, de tous ceux qui sont incapables de se défendre. Et dans ce cas précis, ce serait tout le monde. Le passant est à un désavantage certain ; deux officiers surentraînés contre une pauvre personne sans défense prise en embuscade. » Il penche la tête en arrière, comme s'il cherchait la réponse au plafond, et pousse un soupir. Tout en lui hurle le doute et la contradiction, la peine et le dilemme. « Pourtant... Pourtant, je sais pas. Je sais pas si j'aurais le cran d'aller à la confrontation. Je sais pas si je pourrais les mettre hors d'état de nuire. Je sais pas si mon intervention serait bénéfique. Je réfléchis trop pour mon propre bien. Sauf que là, je n'aurais pas le temps de réfléchir. Ce serait une décision prise sur l'instant, à l'improviste, avec le cœur et non la tête. Mais je pense qu'au final je le ferais quand même. Je trouverai quelque chose. Un sort, une excuse, une bousculade, une injure. Encore plus si c'est quelqu'un qui me tient à cœur. Vous n'avez qu'à demander à Ioana, elle vous le confirmera. » La journaliste hausse un sourcil parfaitement épilé. « Ioana? » Un sourire se peint sur les lèvres d'Aleksei tandis qu'il replonge son regard acier dans les yeux confus de la femme. « Oui, Ioana. » Elle n’en tirera pas plus.

« Vous voilà devant le miroir du Riséd, que pensez-vous y voir ? » Il lève les yeux au ciel. « Je m’en fous. Comme je vous dis, j’en sais rien. Vous pensez sérieusement que je l’ai déjà vu, votre miroir ? Que je me suis déjà posé la question ? » Il laisse échapper un petit rire. « Bon, d’accord, comme tout le monde, je suppose. Ce que je désire le plus au monde… Vaste question. Multiples réponses. Je pourrais vous dire des tonnes de choses, des plus altruistes aux plus égoïstes, des plus vaines aux plus spirituelles. La vérité, c’est que je suis un homme, et que j’ai des désirs d’homme. Des désirs simples et idiots. » Il ne dit plus un mot, défiant la journaliste de lui demander plus de détails. Pourtant, au fond de lui, ça bouillonne. Il a toujours été du genre à savoir ce qu’il voulait. Il n’a jamais eu à se plaindre de sa vie, s’est toujours considéré heureux et chanceux, malgré les horreurs qu’il a vécues. Pourtant… Pourtant, quand il ferme les yeux, il s’imagine dans un petit appartement de Sofia, un bambin dans les bras et un autre lui courant dans les jambes, tandis que la femme qu’il aime s’occupe de faire la cuisine. Elle est dos à lui, mais il sait qui elle est, même s’il a toujours refusé de se l’avouer. Une douce odeur de fleur de lys et d’eau iodée se mêle à la poussière qui passe par les fenêtres entrouvertes, donnant sur la rue. Tout est paisible. Il sait qu’il est pardonné pour ses crimes, il sait que ses proches morts au combat reposent en paix, il sait que tout est fini et qu’ils sont bien, là, tous les quatre, sous le soleil de Bulgarie. Il sait qu’il est amoureux de Ioana, il sait que c’est sa bague qu’elle a au doigt. Il sait que ces enfants sont les siens, vraiment les siens, pas comme Pietre qui ne partage que son sang. Ceux-là, il les a éduqués, aimés, embrassés, grondés, amusés. « Je veux une famille. » Quatre mots qui sortent, un souffle à peine audible, que la journaliste ne comprend pas. Tant pis pour elle.

« Par chance, vous vous trouvez en présence des trois reliques de la mort, mais vous ne pouvez en choisir qu’une. Laquelle prendriez-vous ? » Aleksei la dévisage, incrédule. « Une relique ? Mais… Vous êtes sérieuse ? Tout le monde a entendu parler des Contes de Beedle le Barde. Tous les petits sorciers, du moins. C’est la base de l’histoire à raconter le soir avant de s’endormir. Et la base de la base en matière d’histoire de Beedle le Barde ? Le conte sur les reliques de la mort, bien sûr. » Un sourire ironique se peint sur ses lèvres. Il la prend pour une idiote. Aleksei la voit serrer sa plume dans sa main un poil trop fort, ce qui le fait jubiler intérieurement. S’il arrive à lui taper sur les nefs autant qu’elle le fait sur les siens, elle arrêtera peut-être de lui poser des questions à la con. « La pierre philosophale ne réssucite pas vraiment les morts. Elle en fait des fantômes. Non, pire ; des âmes errantes piégées à jamais dans la dimension réelle. Jamais je ne pourrais infliger ça à qui que ce soit, encore moins à mes proches. Encore moins à Milan. » Sa voix se brise, mais il se reprend vite. « La baguette de sureau est certes puissante, mais pour me faire tuer après ? Non merci. Surtout que personne n’est sûr de son pouvoir. C’est un mythe. Ça n’existe pas. Ça ne peut pas détruire Grindelwald. Pour ça, il faut qu’on le fasse seuls. Mais je ne vais pas entrer là-dedans, ce n’est pas la question. » Il semble réfléchir un moment, puis se lance : « La cape d’invisibilité serait la moins dangereuse des reliques, même si on peut quand même vouloir tuer pour l’avoir. Cela dit, je ne suis pas sûr qu’elle me servirait. Au final, je pense qu’il vaut mieux rester loin de ces trucs-là. » Et son visage s’orne de nouveau d’un sourire digne du chat du Cheshire.