+ CHILDREN OF THE BAD REVOLUTION (charles/ruslan)

Ces derniers jours, les rêves se rassemblent et passent comme des diaporamas, comme des flashs. Des flashs qui aveuglent, qui font battre le cœur et couler la sueur. Tu revois tout, tu ressens tout plus fort. La peur, la colère, le deuil, le stress constant. C'est épuisant. Ton véritable visage enfoui dans l'oreiller en proie à l'énième cauchemar, pourtant loin d'être monstrueux, simplement réaliste.
Tout commence par des rires, la vie brillante et simple. Neo et toi dans les couloirs de Poudlard, les sorts-étincelles et Helene avec son insigne de préfète et son regard sévère, une tape sur la tête. Petit frère qui fait les 400 coups et empêche la famille d'être sage comme elle le voudrait, petit frère qui semble si fragile d'aspect mais qui dissimule un sourire carnassier. Dans un coin, Emma rit sans sourire, simplement avec ses deux grands yeux d'enfant. Et ça te va. Juste ça. Les lumières rient avec vous, c'est bientôt Noël. Le moment de retourner à la maison, le moment des rires et des embrassades. Tes parents, deux étoiles qui avaient besoin de leur constellation pour briller, et Neo qui s'était rajouté comme une étoile plus discrète. Ça a toujours été toi et eux. Mais vous et vos valeurs contre la société, ça s'est vite dégradé. Et la scène du bonheur se teinte de noir dans un nuage de fumée.
Les cercueils sont brillants et le trou semble interminable. Emma a les joues humides et sa main tremble dans la tienne, Helene a le menton haut, la mâchoire serrée, comme toi. Vous avez maintenant le poids du monde sur les épaules, et le deuil à porter, une vengeance à accomplir. Il y a des membres de Lux partout, la clairière illuminée par des Lumos silencieux. Personne ne parle et personne ne respire. Et deux corps sans vie de plus, mais les plus importants. C'est le jour où tu as perdu tes parents, et ça te pèse encore, comme une brûlure à vif au creux du ventre. Le jour où le mage noir est monté au pouvoir, le jour qui a précipité ton choix trop risqué. Et la main d'Helene serre brièvement la tienne, comme pour dire, tu sais ce qu'il te reste à faire.
Le plan avait été pensé depuis des semaines, préparé depuis longtemps. L'identité volée de Ruslan Ianesyki. C'était ton idée. Tu te souvenais encore des menaces, au cœur d'une froide forêt de Sibérie. Du dérapage de la mission et de l'éclair vert frappant la poitrine du garçon à peine plus vieux que toi. Ruslan, tu ne le connaissais pas, mais tu as du te renseigner. Sang-pur d'une famille détestée, souillée par l'inceste, mais d'une branche acceptable. Fidèle partisan de Grindelwald, fier de l'être, d'où son élimination. Dans ton camp, on ne tuait, pas, on capturait et interrogeait chaque fois qu'on le pouvait. Mais il s'était battu, il n'avait pas laissé le choix. C'est ce que vous vous êtes dit entre vous, au lieu de raconter que c'était un simple accident, un sort échappé, un destin funeste. Tu avais tué un homme de ton âge, que tu ne connaissais pas. Et maintenant, tu allais te servir de lui pour servir ta cause.
« C'est saisissant, tu me ferais presque flipper. » Neo le sourire sarcastique, alors que toi tu t’inspecte dans le miroir, mine inquiète. Tu te retiens de lui dire de la fermer, que cette mission va durer des années, que tu laisses tout derrière toi pour Lux, et que ta survie et la tienne dépendent de votre discrétion. La flamme au bout de ses doigts danse dans le fond de tes yeux, et tu soupires. « T'es sûr que tu veux faire ça avec moi ? » Il n'hésite pas avant de hocher la tête. De toute façon, maintenant, vous avez pris l'engagement. Sans plus avoir le choix. Un autre nuage noir, comme quand son existence défile, lors de la chute d'une falaise. Et puis soudain, tout défile et prend des allures de mort. Les pas dans la capitale froide et Bulgare, les regards surpris et soulagés de la famille à peine retrouvée, pourtant inconnue. Le fils prodigue de retour, ressuscité. On pensait que tu étais mort, te dit-on. Je le suis, le penses-tu. Pourtant, les mois ont défilé, les années, les échelons gravis, les faux sourires gravés. Le bois précieux du bureau sous tes mains, les cravates et les mains serrées, sourires crocs de fauves, poignes serres acérées. Oh, tu t'es bien débrouillé, et si maintenant tu décidais de partir, il serait trop tard,
trop tard pour faire marche arrière.
Le tout te donne le tournis. Les informations chinées, chipées, rapportées, la révolution que tu mènes dans l'ombre. La famille abandonnée, le regard d'Emma qui s'efface de la mémoire, les regrets et pourtant la fierté, d'être utile, de mentir si bien, de mener une vie qui n'est pas la tienne et que tu t'es pourtant appropriée. Parfois, tu perçois des regards suspects. Ruslan n'est plus le même depuis qu'il est revenu, il y a six ans, comme si quelqu'un avait pris sa place. Alors tu te caches derrière des sourires et des bonnes manières et tu te fonds comme l'ombre que tu es.
Silencieusement, l'araignée tisse sa toile.
Mais l'ombre aussi guette, et tous les jours tu ne crains qu'on te découvre.
Il revient d'un coup, devant toi en pleine réunion, l'homme sans visage. Ceux des plus hauts placées qui se tournent vers toi, qu'est-ce qu'il se passe Ianesyki ? Que veut-il ? Et l'homme sans visage arrache le tien, Charles se dévoile, Charles tombe à genoux, mains plaquées sur ses traits, mais il est trop tard. Les hommes se lèvent si fort que les chaises tombent dans un bruit sourd et les baguettes se lèvent, tu n'es pas de taille. Le don draine toute ta magie, et tu ne pourrais même pas t'enfuir. Les sorts s'abattent, une dizaine d'un coup, foudroyant,
Ruslan n'est plus,
et Charles non plus.
Tu te réveilles en sursaut, le cri au bord des lèvres, la nuque trempée de sueur, le cœur battant d'une terreur imaginaire. A côté de toi, un corps bouge, l'étreinte chaleureuse interdite, chaste, il grogne un peu.
Il se réveille devant toi,
le terroriste qui partage tes draps.
« Toujours le même cauchemar ? »
Ta tête hoche imperceptiblement quand il soupire et caresse ton dos de sa main calleuse, brûlée par les envies de décimer la société, de mettre à genoux les sorciers. Parfois il te fait aussi peur que toi-même. Mais ta tête se pose sur son épaule sans rien dire. Toutes les nuits ou presque, c'est ta vie entière qui te gifle le visage comme une vague glacée. Le poids des décisions trop lourdes, trop dures à prendre, le gamin forgé par la soif de justice et de vengeance.
Mais tu ne regrettes pas
et toujours, tu te battras.