Frederica Jezabel {Fini}

"Parlez-nous un peu de vous. Si vous deviez vous décrire en quelques mots que diriez-vous ?"
Malgré son nom de famille, rien de débauché chez Frederica ; au premier regard, en fait, elle semble être une ascète de la neutralité, une femme calme à la voix douce, feutrée, et aux questions délicates. Et puis se laisse deviner la dureté promise par l'angle de ses mâchoires et la droiture de sa nuque : la jeune femme a reçu une Éducation. Pas de vulgarité, pas d’abréviations, d'écart, de relâche. Une honte certaine de son sang-mêlé, un peu prolétaire, indigne de l'image propre qu'elle souhaiterait renvoyer. Elle aime le café mais boit du thé, car c'est plus convenable. Sa plume est faite pour une ironie acérée, mais elle ne se permet qu'une objectivité étatique. Elle excelle à faire profil bas, se jugulant d'une main de fer, et ne se permet d'infractions à sa politesse britannique que lorsqu'on l'outrage d'une impolitesse – et encore est-ce pour se permettre au maximum un ton sec. Voire une remarque acerbe, mais strictement mentale. Frederica ne brille pas pour son courage.
Pourquoi, avec ce soucis de conformisme, s'obstiner à rester journaliste ? Parce qu'elle a le journalisme dans le sang. Ecrire, narrer, interpréter est sa passion, son rêve, sa raison d'être. Elle ne s'imagine pas plus cesser d'être journaliste, même censurée, même consensuelle, que cesser de vivre.

  "Grindelwald domine l'Angleterre et la Bulgarie depuis 6 ans en quoi cela-t-il influé sur votre quotidien ?"
  En rien, répondrait-elle. Frederica est douée pour détourner les yeux, nier les petits accrocs qui la contrarient. On la laisse faire son travail ; elle s'en contente. Elle vivait déjà chichement auparavant, donc les privations ne l'atteignent pas. Elle veillait déjà à la consensualité de ses articles, donc la censure d’État lui passe par-dessus. Elle vit dans une neutralité soigneuse, entretenue avec l'aisance de quelqu'un qui s'est toujours nourri de compromis. Les grands rêves de son adolescence – la Vérité, la Justice, le Scandale de la Vertu Éclatante – sont bien loin.
Malgré sa paix apparente, elle vit assez mal d'être sang-mêlé, craignant d'être victime de discriminations plus ou moins musclés.

  "Vous voyez un passant dans la rue se faire malmener par deux spaseni, serviteurs de grindelwald, que faites-vous ?"
Elle détournera le regard, évidemment, et passera son chemin. Elle est journaliste, pas « super- héroïne », comme disent les « comics » américains ou les feuilletons européens ; les romans de gare des moldus n'ont jamais fait que la plonger entre ennui et consternation. En sus, en vivant prudemment, avec équilibre, et sans se mêler de rebellions absurdes, il n'y a aucune raison pour que quiconque se fasse importuner par les spasenis, n'est-ce pas ? Et puis ses parents auraient vigoureusement désapprouvé qu'une jeune femme bien sous tout rapport se mêle de ce genre de choses et, au-delà de ses écarts – des cheveux si courts ! Une profession si masculine ! –, elle reste accrochée à leur morale familière..

  « Vous voila devant le miroir du Riséd, que pensez-vous y voir ? »
  Frederica s'y verrait sans doute en gagnante d'un prix journalistique, célébrée pour sa franchise, son style incisif et son œil pénétrant. Puisqu'elle a de toute façon réprimé ses désirs depuis longtemps, une telle vue risquerait de la déprimer plus qu'autre chose. Il n'est jamais bon, à trente ans, de s'apercevoir qu'on a corrompu à ce point ses rêves d'adolescentes à force de prudence et de concessions. Et puis, de toute façon, quelle chance aurait-elle de concrétiser ses ambitions sous le règne de Grindlwald ? Bref, il ne faudrait pas laisser Frederica regarder dans le miroir du Riséd ; elle y gagnerait juste une bonne crise de cafard et une forte envie d'un café qu'elle ne s'autorise pas.

  « Par chance, vous vous trouvez en présence des trois reliques de la mort, mais vous ne pouvez en choisir qu’une. Laquelle prendriez-vous ? »
  Quoi ? Pardon ? Prendre une relique convoitée par des centaines de voyous, criminels, grands sorciers, tueurs, créatures magiques et autres présences dangereuses et effrayantes ? Non ! Non, non, non. Frederica ne prendrait rien du tout : elle repartirait aussitôt, hésiterait à avertir les autorités avant de n'en rien faire par prudence – les témoins gênants se suppriment si vite… Puis elle écrirait l'article qu'elle aurait fait publier dans le journal si elle n'avait pas souhaité la discrétion, avant de le brûler par prudence.