(M) - XAVIER DOLAN - Sometimes quiet is violent (sweet brother)

Beginning of July 1951 - Death doesn't let you say goodbye Mihayl observait les invités s'affairer dans le grand hall d'entrée du manoir Krum alors qu'il venait de sortir d'une discussion particulièrement rasoir avec sa tante. Les tenues de soirées des femmes étaient toutes plus extravagantes les unes des autres mais paradoxalement toutes aussi conservatrices. Elles voulaient toutes tirer leur épingle de jeu mais faire ça dans les règles de l'art. Les conversations allaient bon train, l'alcool coulait à flot et les petits fours disparaissaient à vue d’œil. Tous les invités ou presque étaient arrivés, et tout le monde attendait de passer à table. A vrai dire, c'était ce qu'attendait Mihayl avec impatience également, car il s'ennuyait de pied ferme –  pour ne pas dire qu'il se faisait chier comme un rat mort, mais un tel langage ne serait pas accepté lors de cette soirée. Un rictus éclaira son visage, mais seulement pour quelques secondes. Il avait une sainte horreur de ces mondanités, et si c'était déjà le cas en Bulgarie, cela n'avait fait qu'empirer depuis leur arrivée en Angleterre. Aleksandar organisait bien trop souvent ce genre de soirées à son goût, bien qu'il en comprenne ses raisons, et c'était bien là tout le drame : Mihayl savait que ces événements étaient indispensables. Ils avaient besoin d'élargir leur réseau s'ils voulaient plus de pouvoir dans la société magique du moment, et c'est ce qu'il souhaitait personnellement également. Il était poussé par cette ambition depuis des années, celle de faire regretter à tous ses anciens « camarades » de Durmstrang toutes leurs railleries. Puis son regard se fit happé par la chevelure flamboyante de Desislav, et ses yeux s'y attardèrent pendant quelques secondes, plus que de nécessaire sans doute mais c'était plus fort que lui. L'homme qui partageait nombreuses de ses nuits vaquait à ses occupations et ne semblait pas avoir remarqué qu'il le regardait. De toutes les personnes présentes ce soir, toutes plus apprêtées les unes que les autres, il lui semblait ne voir que lui, n'être ébloui que par lui. Il était beau ce soir – et encore le mot lui semblait si faible. Il était beau comme toujours en réalité, mais ça lui serrait toujours le cœur de le réaliser, malgré les semaines qui passaient. Parce qu'à chaque fois, il ne comprenait pas. A regret, il quitta le jeune homme du regard parce qu'il craignait de divaguer un peu trop s'il attendait davantage. Son frère Stoyan semblait être dans une conversation animée avec leur oncle Marko ; Mihayl avisa alors son autre frère Yasen, le plus jeune et celui qu'il protégeait à outrance, qui discutait avec leur père Aleksandar légèrement hors des festivités, à côté de la grande porte d'entrée. Il sourit légèrement, au coin des lèvres, et traversa le hall pour les rejoindre – son père devait sans doute attendre l'un des derniers invités. Et puis l'atmosphère changea brusquement du tout au tout. En l'espace de quelques secondes, la soirée tourna au cauchemar. Mihayl n'était plus qu'à quelques pas de distance de Yasen et du patriarche lorsque ce dernier s'écroula au sol sans crier gare. De ce moment découleront quelques minutes seulement, mais chacune d'entre elle est imprégnée avec une exactitude effroyable dans l'esprit de Mihayl. La surprise dans les yeux de Yasen, avant d'être chassée par la panique alors que le benjamin des Krum s'affaisse au chevet de Aleksandar, appelant son père. Au même moment – ayant accéléré le pas inconsciemment au moment de la chute du paternel – Mihayl tombe à genoux devant le corps, en bloquant partiellement sa vue aux invités, certains d'entre eux commençant à réaliser qu'il se passe quelque chose. « Père ! » La voix de Mihayl est pressante mais mesurée. « Père, vous m'entendez? » Dans sa poitrine, son rythme cardiaque s'est pourtant affolé. Il tapote ses joues. Aucune réaction. Aleksandar a les yeux révulsés « fuck » siffle-t-il entre ses dents. Qu'est ce qu'il est supposé faire maintenant ? Il sent le regard paniqué de Yasen sur lui. « STOYAN ! » aboie-t-il alors que dans son esprit confus il essaie de savoir quoi faire. « Aleksandar, serrez ma main si vous m'entendez. » Derrière lui, il entend Stoyan s'approcher. « Stoyan j'ai besoin d'un médicomage. » demande-t-il avec urgence, une vague de soulagement l'envahissant alors que son frère cadet semble comprendre l'urgence de la situation et fait en sorte d'éloigner les invités qui semblaient s'être regroupés derrière lui en agitant sa baguette magique autour d'eux. Quelques secondes plus tard, un homme dont il ne se rappelle plus du nom s'approche. « Éloignez vous s'il vous plaît Mihayl. » Le bulgare s'exécute et se redresse alors, observant le médicomage agiter sa baguette et s'affairer autour du corps inerte du patriarche. Il n'a pas besoin de cinq minutes pour relever la tête et poser un regard navré sur Mihayl puis ses deux frères. « Je suis désolé. » Un silence. « Il est mort. » Trois petits mots. Trois petits mots et c'est tout. Mihayl cligne des yeux, peinant à assimiler la nouvelle. A ses côtés, Stoyan semble être aussi abasourdi que lui. Ce sont les cris de protestations de Yasen, les larmes glissant déjà sur ses joues, appelant Aleksandar en secouant le corps, qui fait réagir Mihayl; ainsi que la colère qu'il entend dans ses cris. Parce qu'il n'y a pas que de la tristesse. Au contraire. Il y a cette colère inhérente aux Krum, et à cet instant, Yasen ne la contrôle pas. Il s'agenouille de nouveau et attrape son frère par les poignets. « Yasen. Yasen. » Le gamin – il le sera toujours à ses yeux – secoue la tête de gauche à droite, refusant de l'écouter. Il se débat. Une boule cherche à se loger dans la gorge de Mihayl, et son ventre se noue. Il lâche les poignets de son frère pour poser cette fois ses mains de part et d'autre de son visage, le forçant à le regarder. « Yasen. Regarde moi. » martèle-t-il fermement. Les yeux remplis de larme de son frère croise les siens alors que ses mains agrippent ses bras avec la force d'un naufragé. Mihayl serre les dents et déglutit pour chasser les sanglots qui menacent au fond de sa gorge. « C'est fini Yasen. C'est fini. » Il sent le regard de son frère le quitter pour se poser de nouveau sur le corps inanimé. « Regarde moi. » répète-t-il alors encore, avant de l'attirer entre ses bras, cherchant Stoyan du regard, qui semble enfin réagir et récupère Yasen pour l'éloigner de la scène. Le regard de Mihayl se pose sur le corps inerte. Il ne comprend pas comment, il ne comprend pas pourquoi. Comment peut-on mourir comme ça ? Son père était en bonne santé pourtant. Ce n'est pas possible. Son esprit refuse d'assimiler la nouvelle alors qu'il se tourne de nouveau vers le médicomage qui n'a pas encore bougé. « Comment ? » demande-t-il simplement, complètement dérouté. L'homme le regarde alors avec de la compassion dans les yeux, et Mihayl doit serrer le poing pour se retenir de lui administrer un crochet du droit et lui faire ravaler sa pitié. « C'est une crise cardiaque… Malheureusement, il n'y a rien à faire… Votre père prenait de l'âge… Ce sont des choses qui arrivent. Je suis navré. » La pensée que c'est cet homme – ou quelqu'un d'autre – qui l'a tué traverse l'esprit de Mihayl. Un ennemi de son père ? Il cligne des yeux tout en chassant cette idée absurde. Il a déjà entendu parler de ce genre de décès. C'est malheureux, mais pas criminel. Il remercie le médicomage qui s'éloigne alors. Les secondes s'écoulent une à une, il remarque alors ses deux oncles dans son dos et prend alors conscience qu'il doit se mettre en mouvement. Prenant sur lui, il se penche de nouveau sur le corps et sa main parcourue de tremblements imperceptibles vient fermer les paupières du patriarche pour son dernier voyage. Il semble à Mihayl n'être alors qu'un spectateur du reste de la soirée plus qu'un acteur. Tout est si confus et passe si rapidement. Echanger quelques mots avec Tchavdar et Marko. Transporter le corps d'Aleksandar dans sa chambre, loin des regards indiscrets. Congédier tous les invités tout en restant aimable, préparer les chambres pour ses oncles. Venir s'enquérir de l'état de ses frères, et avoir son cœur brisé en conséquence devant le regard dur d'un Stoyan aux traits tendus qui peine à garder la tête haute, et les yeux rougis de Yasen qui s'excuse de sa « réaction démesurée » devant les invités. Prendre contact avec les pompes funèbres magiques et surtout, surtout, ne jamais poser ses yeux sur le corps du patriarche.