(siân) it's like a dark paradise

Mai 1930, six ans

La bambine s’ennuie. La douce enfant ne semble pas s’émouvoir des jouets qui s’amoncèlent à ses pieds, au grand malheur de sa nanny. La vieille dame essaye d’attirer l’attention de l’enfant, mais celle ci semble déjà être dans un autre monde, les yeux dans la vague, aucune étincelle de semblant les animer. De beaucoup disent que cette enfant est mutique, certains avancent que la disparition de ses parents, la mort suspecte du patriarche a plongé l’enfant dans un profond désespoir. Mais la nanny sait que l’enfant n’est pas concernée par ce qui l’entoure, que la gravité de ses traits est ancrée dans son sang, que la joie ne sera pas la principale émotion qui animerait ce petit corps. Le bonheur ne lui appartiendrait pas, il lui échapperait comme il a échappé aux membres de cette famille. Le petit ange n’aura le droit à sa rédemption.

«  Galaad, il est ou père ? Pourquoi il est parti ? » demande l’enfant, à la grammaire encore un peu fragile. « Siân je ne me répèterai pas encore une fois. Père est mort, il est parti car c’était son heure. Le sujet est clos. » les mots raisonnent, leur froideur est à l’image de l’homme qui les prononce. Le visage est fermé, la discussion ne sera plus tolérée et l’enfant malgré son jeune âge le comprend. L’ordre, l’obéissance prendront le pas sur la curiosité, celle ci se mettra en retrait comme tout ce que déteste Galaad. La fierté du frère, l’attention de l’être aimé, du seul parent. Elle sait déjà Siân que les morts ne vont pas au ciel, qu’ils ne la regardent pas d’un œil bienveillant, qu’ils ne la protègeront pas. « Les morts n’existent plus. Ils appartiennent au passé au même titre que les souvenirs, mais jamais à l’avenir. C'est pourquoi il est inutile d'en. Est ce clair Siân ? » lui avait il expliqué. Et l’enfant avait alors comprit que jamais son père ne viendrait, que jamais plus il ne la guiderait. Désormais la seule main qui se tendrait, la seule protection qui lui serait offerte viendrait de l’imposant homme, de celui qu’elle observait cachée derrière les portes, de celui dont elle attendait toujours l’approbation.

Décembre 1934, dix ans

« Dyfnig, tu sais toi pourquoi on ne doit jamais parler de Deryn ? Qu’as t-elle fait ? ». L’enfant a compris depuis bien longtemps que le sujet de discussion était interdit dans l’enceinte de cette maison. Tout comme elle avait compris qu’elle n’obtiendrait aucune information de la part de Galaad, si ce n’est un regard noir et l’invitation à monter dans sa chambre et d’y rester seule pour la soirée. C’est pourquoi elle s’était adressé au moins autoritaire de ses frères, au plus amical. « Elle a fait les mauvais choix, Siân. Ceux qui entrainent la honte, la solitude et le malheur. Elle a préféré l’amour à la convenance, elle en a préféré un autre à sa propre famille. Mais tu sais très bien qu’on ne doit pas en parler, c’est du passé et ca doit le rester. » Elle peut sentir la tristesse dans la voix de son ainé Siân, elle comprend que trahison de sa sœur a blessé ses frères, tout comme elle comprend que le pardon n’est pas envisageable sous ce toit.  « Elle devait être très stupide alors pour préférer un autre homme à Galaad ». De tous diront de cette enfant qu’elle comprend, qu’elle anticipe. Peu comprendront l’importance de la fierté dans sa vie, peu comprendront qu’elle accepte les choix de son ainé, sans jamais s’élever contre lui. Mais elle, elle a su ce jour là qu’elle ne devrait jamais décevoir son si cher frère, que jamais il ne lui pardonnerait un faux pas, tout comme elle ne pourrait jamais concevoir de le perdre.

Juin 1941, dix-sept ans

Alors voilà c’était ainsi que cela se terminait. Sept années qui semblaient s’envoler, les rires comme les doutes, les réussites comme les échecs, sa vie dans ce château se terminait avec la même tristesse qu'elle avait commencé. D’un château à un autre, quel échec. Elle est triste Siân, triste de voir son destin s’envoler avec ses souvenirs, ses espoirs s’échouer avec disgrâce au pied du château. Oh bien sur qu’elle avait espéré, qu’elle avait frôlé la perfection toutes ces années en attendant sagement l’approbation de l’ainé. Mais rien ne semblait se profiler pour elle, rien ne semblait pouvoir l’empêcher de redevenir la chose, le parfait petit soldat de son frère. Oh elle n’avait pas tout perdu, elle y avait gouté à ce semblant de liberté, à ce doux fantasme d’échapper à la main de Galaad. Mais elle ne s’y trompait pas Siân. Elle savait que tout s’envolerait quand la demeure des Slughorn redeviendrait sienne, quand sa vie serait de nouveau entièrement remise entre les mains du patriarche. Elle ne s’illusionnait pas sur elle même, sur ses propres faiblesses. Jamais elle ne pourrait agir contre l’honneur, jamais elle ne pourrait le décevoir, le laisser derrière elle ce frère tyrannique mais aimé. Jamais elle ne pourrait être une Séphora bis, jamais elle ne pourrait l’abandonner, elle s’y perdrait elle même.


Mai 1949, vingt-cinq ans

« Que penses-tu d’Aleksandr Karkaroff, vous étiez amis n’est ce pas ? » L’avis de la cadette est rarement plébiscité sous ce toit, encore moins de cette bouche. « Rien » finit elle par lâcher sans même se donner la peine d’essayer de rendre son pâle visage expressif. Pourtant des émotions assaillent la jeune femme sans qu’elle ne cherche à les définir, à se les approprier. Il y a longtemps qu’elle a compris Sian. Elle a compris que les sentiments sont les ennemis de l’Homme, que sans eux il avance sans jamais se retourner, peut être sans jamais aimer mais aussi sans jamais souffrir. Les émotions sont la barrière entre l’Homme et sa liberté, entre le fort et le faible. Elle le sait bien la Slughorn, elle l’a bien compris que ces mêmes sentiments la tenaient entre les bras de Galaad, qu’ils l’ont poussé à laisser sa vie lui glisser entre les mains. Et pourtant, s’il, y a bien longtemps qu’elle a  oublé ses sentiments envers le Karkaroff jusqu’à les faire disparaitre elle en est incapable avec son ainé. Quelle vie sans lui ? Quels buts ? Quels repères ? Et pourtant même lui semble désormais vouloir la pousser vers une autre direction, une direction opposée à la sienne. De beaucoup aurait surement pensé que c’était là l’occasion de s’échapper, de laisser enfin l’oiseau s’envoler. Mais l’oiseau est fier, bien trop fier. Jamais elle n’imposerait un mariage à quelqu’un qui ne la veut pas, qui ne la désire pas. Jamais elle ne quitterait la présence protectrice de son ainé pour un homme qui brise sa fierté. Le mariage, cette piètre institution qui rend parents et enfants malheureux, qui emprisonne les Hommes dans une idée pré faite des relations. Mais aussi l’institution qui permettrait à l’oiseau de quitter son nid. Mais le veut elle réellement ? Est elle réellement capable de se défaire de la présence de celui qu'elle aime ? De celui auquel aucun autre homme ne pourrait, ne serait ce envisager, faire concurrence ? «En effet nous étions amis enfants, mais ce temps est révolu. Et je doute qu’il pense quoi que ce soit de moi. »