Charlotte "Cleo" Ricci ♦ The Devil wears Prada

Il était une fois, l'histoire d'une jolie jeune femme, la plus belle qui soit. Elle était princesse pour sa famille, mais souillon pour les autres. Son sang avait beau être des plus purs qui existent, les siens n'avaient pas de racines suffisamment anglaises pour être reconnus par leurs pairs. Mais la princesse n'en avait cure. Elle se fichait bien du sang coulant dans ses veines ou dans celles des autres. Sorcière émérite, elle fut choisie pour accompagner une délégation jusqu'à l'école française de Beauxbâtons où elle put se délecter de la beauté des lieux. Ce fut au détour d'une des nombreuses fontaines de l'école que l'Amour vint la surprendre, la frappant de plein fouet, littéralement. Lorsqu'elle se releva de sa chute, ses yeux tombèrent sur le doux visage d'un prince d'Italie, sa peau tannée et ses yeux sombres. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.

Enfin, pas si heureux. Et avec deux enfants, seulement. Les Rosier ne furent pas ravis d'apprendre cette histoire entre Alisha et un né moldu du nom de Mickelangelo Ricci. Ils n'approuvaient pas. Alisha ne pouvait salir leur lignée en fréquentant un sang de bourbe. Mais ni les mots ni les menaces ne réussirent à la faire changer d'avis. Lorsque l'amourette d'adolescents se transforma en amour véritable, les Rosier menacèrent une dernière fois de renier la princesse qui leur apportait tant de honte. Si cet épisode resta à jamais une cicatrice douloureuse dans le coeur de la belle, elle ne le montra pas en faisant ses valises pour rejoindre l'Italie. Son choix était tout fait.

L'Amour brillait sous les étoiles des côtes de Sardaigne. Les Ricci avaient accueilli Alisha les bras ouverts. Et lorsqu'on disait les Ricci, il s'agissait réellement de Mickelangelo et de sa mère. Il n'y avait plus qu'eux, et peut-être quelques lointains cousins, quelque part dans la botte. Avec eux, Alisha redécouvrit les joies d'avoir une famille et de vivre sans aucune pression sur ses épaules. Chaque jour, Mickelangelo et elle devaient utiliser le réseau de cheminée pour se rendre à leur travail sur le continent avant de retrouver les douceurs de l'île le soir venu. C'était une belle vie, simple et satisfaisante.

Jamais ils ne se marièrent et jamais ils n'en ressentirent le besoin. Leur Amour était au-dessus d'un morceau de parchemin et de quelques voeux. Leur union était parfaite telle qu'elle était. Jusqu'au jour où elle devint plus parfaite encore. Mickelangelo pleura pour la première fois devant Alisha lorsque celle-ci lui annonça attendre un enfant. La Mama, alors malade, leur offrit un sourire : elle savait qu'elle ne verrait pas cet enfant, mais elle ne laisserait pas son fils seul, et cette seule pensée suffisait à lui apporter la paix. Elle s'éteignit quelques semaines plus tard.

Sans attaches en Sardaigne, Alisha réussit à convaincre Mickelangelo de retourner en Angleterre avec elle. Son enfant, disait-elle, devait faire ses études à Poudlard. C'était son souhait le plus cher et son compagnon le lui accorda. Ils s'installèrent dans l'Ouest de l'Angleterre, tout près du Pays de Galle, dans une petite maison de campagne qui leur rappelait la demeure des Ricci. Charlotte y naquit le 17 mars 1931. Elle fut suivie quatre ans plus tard par Joshua. Leur enfance fut heureuse, pas spectaculaire mais suffisamment équilibrée. Les enfants ne connurent pas vraiment les Rosier, bien qu'Alisha ait commencé à engager une démarche de réconciliation et les ait emmenés au manoir parfois pour qu'ils puissent rencontrer leur famille. Charlotte n'aimait pas les Rosier, ils lui faisaient peur. Elle préférait rester chez elle, avec son père, sa mère et son frère. Ils n'avaient besoin de personne d'autres. L'été, ils partaient en vacances en Sardaigne, dans la maison de son père, et c'était ce que Charlotte préférait par-dessus tout. Elle aimait courir dans les grandes plaines et nager dans la mer. Elle aimait vivre en extérieur, observer le ciel et respirer l'air frais. Elle aimait cette liberté qu'elle ne ressentait pas au manoir Rosier.

Très vite, Charlotte eut onze ans et avec ça, sa lettre d'admission à Poudlard. L'enfant était si excitée, elle parlait constamment de l'école. Sa mère était obligée, chaque soir, de lui raconter encore et encore la fondation de l'école, son fonctionnement, et les cours de magie. En journée, son père la surveillait alors qu'elle passait des heures sur un vieux balai à tournoyer dans les airs, ou à chercher des gnomes dans chaque buisson du jardin. Joshua la suivait partout, du haut de ses sept ans, mais depuis sa chute en balai, sa mère lui avait formellement interdit d'y remonter avant l'âge de neuf ans.

Sans grande surprise pour sa famille, Charlotte fut envoyée chez les Gryffondors. Elle s'y sentit à sa place dès le premier soir. Poudlard, comme le lui avait promis sa mère, était un paradis, un lieu exceptionnel. Bien qu'elle préfère se lancer à l'aventure que passer des heures à lire, Charlotte s'appliqua pour réussir ses études. Elle voulait devenir une grande sorcière, comme sa mère. Cela ne l'empêchait pas de parcourir le château à la recherche de lieux plus passionnants que les vieilles salles de classe, et il n'était pas rare de la retrouver en retenue au moins une fois par mois pour cela. Mais Charlotte était appréciée et appliquée malgré tout. Elle adorait le cours de Sortilèges, ainsi que celui de Métamorphose. Le professeur Dumbledore la fascinait.

Mais la belle vie de Charlotte Ricci tourna vite au cauchemar. Bientôt, un mage du nom de Grindelwald commença à faire régner la terreur sur l'Europe. Ses parents étaient de plus en plus inquiets, elle le voyait bien à chaque fois qu'elle rentrait chez elle. L'ambiance était pesante, et encore bien plus pour Joshua. Charlotte tentait de le protéger de la réalité comme elle le pouvait, de le préserver, mais c'était difficile en étant si loin. Elle chérissait son frère plus que tout, et ce fut un soulagement lorsqu'il intégra l'école à son tour à la rentrée de 1945. La jeune fille fit vite taire les moqueries lorsqu'on lui reprocha de passer son temps avec un bébé. Joshua avait bien plus de valeur qu'eux tous réunis.

Le drame se produisit quelques mois plus tard. Alors qu'elle descendit dans la Grande Salle pour le petit déjeuner, on leur annonça que le professeur Dumbledore avait été tué, tué par Grindelwald. Beaucoup pleurèrent sa mort, mais pas Charlotte. Son visage s'était fermé. Elle haïssait Grindelwald. Et il paierait pour cela. Ce qu'elle ne savait pas, c'était que déjà ses parents et d'autres fidèles et amis de Dumbledore se réunissaient pour créer Lux et défendre l'Angleterre contre la prise de pouvoir de Grindelwald. Elle était jeune, bien trop jeune pour être mise dans la confidence encore. Pourtant, elle aurait aimé dire au revoir à sa mère au cours des vacances de Noël. Elle aurait voulu la serrer une dernière fois. Car lorsque le mage noir prit possession du ministère de la magie quelques jours plus tard, sa mère, son oncle et son grand-père tombèrent aux baguettes des Spasenis.

La mort de sa mère fut dévastatrice pour Charlotte. Contrairement à Joshua, elle refusa de quitter le château pour rejoindre son père et assister aux funérailles. Elle resta dans son dortoir, meurtrie et vide. Mickelangelo vint lui rendre visite pour tout lui expliquer. Charlotte aurait voulu lui dire de quitter Lux, de ne pas risquer sa vie lui aussi, qu'il était tout ce qui leur restait. Mais elle ne pouvait pas. Ce qu'elle voulait réellement, c'était le supplier de l'emmener, de la laisser les aider. Elle savait qu'il refuserait, alors elle se contenta de se taire. Elle allait grandir. Elle allait apprendre comme jamais elle n'avait appris, pour devenir la meilleure. Et si personne ne l'avait fait avant, elle tuerait Grindelwald de ses mains pour venger la mort de sa mère.

Charlotte ne se laissait pas distraire de son objectif par ce qu'il se passait à l'extérieur. Elle lisait les journaux et recevait parfois des messages codés de son père pour se tenir au courant des événements. Les temps étaient dangereux. Elle devait protéger Joshua, c'était là sa mission à elle. Devenir plus forte et veiller sur lui tandis que leur père combattait pour mettre fin à ce règne de terreur. Jusqu'à l'incendie.

Violent incendie accidentel au manoir Rosier annonçaient les journaux. De nombreuses victimes ajoutaient-ils. Pourquoi avait-il fallu que Mickelangelo se rende chez les Rosier ce soir-là ? Pourquoi les abandonnaient-ils, lui aussi ? Charlotte avait poussé un cri à en glacer le sang lorsque ses yeux s'étaient posés sur le nom de son père, figeant tout mouvement dans la Grande Salle. Elle n'avait pu s'arrêter de hurler jusqu'à ce que l'un de ses professeurs ne viennent l'endormir d'un sortilège pour la calmer. Elle resta deux semaines au sein de l'infirmerie, hurla encore lorsqu'on lui annonça que Joshua rejoignait les Rosier pour vivre son deuil. Ils ne pouvaient pas lui prendre son frère, pas lui. Il était tout ce qu'elle avait.

Joshua ne retourna pas à Poudlard, et Charlotte le rejoignit chez sa famille. Elle continua d'étudier, de se noyer dans ses livres, et elle se rendit à l'école pour passer ses BUSEs qu'elle eut avec succès. Joshua, lui, rata sa seconde année.

À ce point de l'histoire, on aurait pu croire qu'il ne pouvait rien arriver de pire, que le quota de malheurs était atteint. Si seulement... Charlotte ne revit plus Poudlard. Elle n'intégra jamais la sixième année. Au cours de l'été, ses nouveaux tuteurs la présentèrent à Joan Weasley. Charlotte ne fut jamais bien au courant des détails, mais les Rosier avaient une énorme dette financière à régler aux Weasley, et elle fut la monnaie d'échange. Le 1er septembre, au lieu de monter à bord du Poudlard Express, Charlotte pénétra pour la première fois à l'intérieur de la Main au Chaudron, le cabaret que tenait Joan Weasley. Un collier de cuir bordeaux vint orner son cou, marquant son appartenance à Joan, marquant son esclavage. Elle avait été vendue, comme un vulgaire objet, pour travailler ici et payer les dettes de sa fabuleuse famille à la sueur de son front. Ou à la courbe de ses hanches. Car si à seize ans, Joan ne lui demanda que de servir les clients et laver le sol, ce fut tout autre dès lors qu'elle eut dix-sept ans. La fille avec qui elle partageait sa chambre, Zelda, lui apprit à danser. À s'effeuiller. Du jour au lendemain, elle devint Cleo.

Cleo était appréciée au cabaret. Elle était l'une des plus belles et surtout la plus sauvage. Elle ne disait jamais non, n'avait aucune limite. Elle avait ce collier bordeaux, celui qui signifiait qu'elle n'avait pas le choix, contrairement aux autres filles de Joan aux colliers noirs. Cleo ne pouvait ôter le poids de sa honte à la fin de son service. Dans la rue, tous voyaient la lanière de cuir, et tous savaient ce que cela signifiait. Cleo était souillée, plus souvent en arrière salle à satisfaire les désirs des clients qui savaient quoi demander que sur la scène à danser pour le public. Elle avait depuis longtemps perdu son innocence, vendue à 50 gallions un soir pour deux hommes qui avaient voulu s'amuser.

Cleo était devenue sa vie, son identité. Elle ne redevenait Charlotte que par instants, lorsqu'elle rejoignait un allié de Lux pour lui transmettre les informations recueillies sur l'oreiller. Car dès qu'elle fut majeure, Charlotte utilisa les Rosier pour rejoindre la cause que ses parents avaient si durement servie. Cela faisait bientôt quatre ans qu'elle agissait en secret pour Lux, utilisant ses charmes pour obtenir des informations pouvant leur servir à organiser un plan. Un plan pour tuer Grindelwald. Un plan pour venger sa famille.

Puis il y a Joshua aussi. Son frère, laissé à la tutelle des Rosier, cette famille qu'elle déteste. Charlotte aimerait tellement le voir, être auprès de lui. Mais elle ne peut pas. Pas alors qu'elle n'est pas libre. Pas alors qu'elle vit dans un cabaret, entourée d'autres filles qui comme elle, se salissent chaque nuit. Pas alors qu'elle n'a pas les moyens de subvenir à ses besoins. Elle n'aura jamais de mari, de famille, d'emploi digne. Mais ça ne l'empêche pas de rêver, de se dire qu'un jour elle le récupérera. Dans deux ans, elle sera libre de ses obligations. Deux ans. Elle peut bien attendre encore un peu.