Dyfnig Ust Slughorn - FALL OF MAN

Chronologie :

Débraillé, farouche. Les chaussures éraflées et pleine de gadoue, les vêtements couverts de poussière, les cheveux où s'accrochent quelques feuilles et brindilles. Si sa mère le voyait ainsi, il se ferait réprimander sans l'ombre d'un doute. Pire encore s'il tombait sur son père. Mais le gamin n'en a cure, le gamin est un dissident dans l'âme : il s'échappe à sa guise de cette réalité qui l'étouffe, de cette volonté familiale de le faire rentrer dans un moule qui n'est pas à sa taille. Lui, il n'a pas envie d'être la pâle copie de ses aînés. Lui, il veut juste qu'on le laisse être celui qu'il est, qu'on l'accepte pour tel et non pas qu'on le travestisse. Il a encore ses illusions infantiles, il a encore la tête pleine de rêves. Il se conforte dans ceux-ci et s'y immerge jusqu'à vouloir s'y noyer, pour ne plus percevoir la lueur de la réalité en surface. Il rêve qu'il est entouré d'autres enfants comme lui, d'un groupe avec lequel il pourrait partir d'ici. Ce n'est qu'un enfant qui aimerait qu'on le voit comme tel.

L'adulte a dit adieu à l'enfant. Mariage de raison, chaînes qui sont venues l'enlacer de leur étreinte glacée. Aurait-il pu s'en soustraire s'il l'avait vraiment voulu ? Le fardeau des obligations a érodé les rêves avec les années, et puis où aurait-il pu fuir ? Où les siens n'auraient pas été capables de venir le chercher pour lui faire cesser ses enfantillages, son égoïsme ? La mort dans l'âme, il s'était résigné, incertain de vouloir connaître la réponse à cette question. Vie en marge, sa femme comme principal lien avec sa famille qu'il préférait éviter. Puis il a appris à connaître sa femme, à l'apprécier pour cette dureté froide contrebalançant avec ce qu'il est. Et puis leur premier fils est venu au monde, et cet instant marqua la naissance d'une lueur au sein de cette vie qu'il n'a pas choisi. Alors, celui-ci devint son encrage. Il lui apprendra- à lui et aux prochains. Il leur apprendra à ne pas refaire ses erreurs et a ne avoir ce même poids que lui dans la poitrine : celui d'un cœur que l'on a foulé du pied pour y briser les rêves.

L'herbe ondule au gré de la fraîcheur nocturne. L'enfant qu'il a été se souvient de ses moments où il courait après son frère - jeux d'enfants depuis longtemps révolus. Et pourtant les y revoilà. Deux petites silhouettes se courant après l'autre. Mais tout à coup, Galaad disparaît. Parti trop loin peut être. Dyfnig l'appelle, Dyfnig le cherche. Mais rien. Le souffle court, le cœur qui panique. Où est passé son frère ? Soudain une ombre plus grande émerge des fourrés. Le visage du diable en personne, son démon incarné. Cain. Paniqué, il se retourne et fuit à toute allure. Mais la douleur s'insinue dans ses membres, puis dans son corps tout entier. Il trébuche, s'étale par terre. Un rire mauvais résonne alors que son corps tout entier est recouvert par l'ombre de son tortionnaire qui se penche vers lui. Il hurle.

Réveil brutal, en sueur. Ses membres tremblent de l'appréhension que tout recommence encore. Mais rien ne vient. Seul un souffle léger lui parvient, celui de sa femme qui dort encore. N'a-t-il pourtant pas hurlé à son réveil ? Ou bien en est-elle arrivé à ce triste point où elle s'est tout simplement habituée à ses nuits agitées ? Il l'ignore, et cela fait mal. Il a l'impression qu'ils finissent peu à peu par devenir deux inconnus à cause de ce qu'il garde en lui, de son refus de partager ce qu'il a vécu - excepté avec son frère.

Il se lève, son corps lui semble douloureux. La douleur ne l'a jamais vraiment quitté depuis, qu'elle soit réelle ou séquelle de son esprit brisé. Ce n'est pourtant pas faute de tenter de recoller les morceaux peu à peu, mais il a l'impression qu'il y en a bien trop pour que ce soit possible en une seule vie. Minuscules, éparpillés, eux-mêmes menaçant de se briser en d’autres fragments.

Ces nuits-là sont propices aux regrets. Si certains de ses choix avaient été différents, en serait-il là aujourd'hui ? Serait-il dans cet état pitoyable ? Serait-il ce fardeau qu'il a parfois l'impression d'être pour sa famille et son frère aîné ? S'il avait suivi tôt l'exemple de celui-ci au lieu de fuir dans un monde connu de lui seul, serait-il plus solide aujourd'hui ? On dit que ce qui ne tue pas rend plus fort. Ce qui ne l’a pas tué sur le coup le fait simplement à petit feu, le ronge et le détruit de l’intérieur.

" Il est tôt. Tu devrais retourner te coucher. " Son regard croise celui de sa femme, froid et dur. Comme à son habitude en somme. Même avec lui elle ne fait jamais réellement preuve de tendresse, peut-être encore moins qu'avec leurs enfants. Et pourtant, il a appris à aimer cette femme austère, cette femme qui se tient avec fierté et rigueur face à lui. Comme pour sous-entendre "Arrête de te lamenter et joue ton rôle d'homme. Soit fort, soit fier." Il frémit imperceptiblement alors que son cœur s’endurcit sous ce regard. Oui, il doit être fort. Il le sera désormais. Il essaiera.