"Nous sommes de ceux qu’on n’remarque pas
Des fantômes, des transparents, des moyens
Nous sommes de ceux qui n’rentrent pas en ligne de compte
Nous sommes de ceux qu’on choisit par défaut" Fauve
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Les cheveux de la poupée en porcelaine balayait le sol tandis que la fillette avançait prudemment le long des couloirs sombres de la demeure des de Navars. Les craquements du parquet ne faisaient que renforcer davantage les battements du palpitant de l’enfant. Ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité environnante et lorsqu’elle aperçu enfin la porte qu’elle voulait franchir, ses pas foulèrent le sol de manière précipitée. Ses petits doigts toquèrent doucement dans un premier temps, puis plus fort devant le manque de réaction. La poignée tourna sous la pression qu’elle effectua et un grincement trahit sa présence.
« Arthur ? » Murmure timide venu transpercer le silence. La cadette de la famille fit quelques pas dans la chambre. La silhouette de son frère se fondait dans les draps de son lit.
« Arthur tu dors ? » Alcyone n’obtint que le souffle d’une respiration apaisée pour réponse. La poupée tomba au sol alors que la petite fille âgée de cinq tout au plus apposait ses avant-bras sur le matelas du lit.
« Thur, Thur, Thur ! » Sa voix s’était faite légèrement plus forte finissant par réveiller le petit garçon. Impassible, il ouvrit les yeux fixant sa soeur dans la pénombre. La mine affectée d’Alcyone se fit timide. Elle se pencha pour ramasser sa poupée et la montrer à son frère.
« Arthur? Bethie a peur toute seule dans ma chambre. » Son frère leva les yeux au ciel et tira la couverture afin que sa soeur le rejoigne. Sourire aux lèvres, elle se hissa sur le lit et se logea aux creux des bras du petit garçon. Son frère, c’était une muraille, un roc. Il était l’ainé, elle n’était qu’une fille venue au monde pour pas grand chose. Lui, plus tard étendrait le nom glorieux des de Navars. Elle, elle ne serait qu’une marchandise à offrir à une autre famille pour étendre leur pouvoir. Mais pour le moment, elle ignorait tout cela. Ses peurs se contentait de régner dans l’obscurité de sa chambre. Un jour, elles lui sembleront désuètes en comparaison.
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Le verre explosa en mille morceaux contre le mur de pierres. Il fallait qu'elle exulte sa rage.
"Non ! Je refuse !" Bientôt tout ce qui se trouva à la portée de ses mains se mit à voler. Ils étaient en train de diner. Rare moment où ils se retrouvaient. Un couteau fila dans les airs frôlant de près son père. Elle l'entendit vaguement lui dire de se calmer. Son palpitant se mit à cogner encore plus fort dans sa poitrine. Une douleur fulgurante la traversa de part en part. Il n'avait pas le droit. Elle n'était pas une mère pondeuse à associer au premier sang-pur passant par là. Ses mains se crispèrent autour de sa chaise en bois alors qu'elle s'était levée renversant à moitié la table. Sa prochaine victime. Le regard de son frère se fit perçant. Il ne pouvait rien pour elle cette fois.
"J'préfère encore crever !" La pression qu'elle exerçait sur le dossier du meuble était douloureuse. Un cri s'échappa de ses lèvres tandis que prise d'une décharge électrique, elle jetait la chaise au loin. Bientôt elle empoignait la nappe brisant la vaisselle ancienne d'une valeur inestimable. Des larmes virent alors souiller son visage, traçant des sillons de rage le long de ses joues. Elle tremblait, ses cheveux étaient complètement décoiffés. Folle. Elle ressemblait tout bonnement à une cinglée échappée de l'asile. Peut-être aurait-elle dû y finir au vu de ses nombreuses crises.
"J'ai dit non, merde !" Vulgaire, irrespectueuse. Voila ce qu'elle devenait alors qu'une de ses crises s'insinuait en elle. Elle jeta alors la table, la retournant faisant exploser un brouhaha inquiétant dans la pièce. Dernier rempart entre elle et son père. Elle allait détruire la pièce. De ses propres mains. Il fallait qu'elle crache cette colère insidieuse. Elle se tourna devant un vaisselier. Son reflet dans la vitre faisait peur. Son image la révulsa. Ses poings vinrent s'enfoncer dans le verre tranchant sa chaire profondément à plusieurs endroits. Mais elle ne ressentait même plus la douleur. Les rideaux furent les suivant. Elle laissait des traces de sang partout sur les murs et lorsqu'elle tira comme une forcenée sur les tissus, elle ne fit que se faire mal davantage. La tringle des voiles lui tomba dessus, elle n'eut que le temps de se protéger de ses bras. Recouverte de plâtre, de sang, elle s'emmêla dans les rideaux tentant de s'en libérer de façon hystérique.
"Tu es ridicule. Tu n'as pas le choix, Alcyone." Essoufflée, en sueur, elle se laissa tomber à terre.
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Le rythme abrasif de son palpitant commençait enfin à s’essouffler. Son père avait claqué la porte ne prenant pas la peine d'aider sa fille. Dos au sol, ses prunelles sombres étaient rivées au plafond de la salle à manger. Ses paupières semblèrent soudainement succomber sous le poids de ses longs cils. Les limbes imaginaires de ses pensées venaient doucement envelopper son corps l'entrainant dans des profondeurs sombres. Le silence l'assaillait de toutes parts faisant naitre en elle un sentiment d'angoisse. Elle se saisit la tête, glissant ses doigts dans sa chevelure couvrant son visage de sang. Un jour, elle songerait à s'offrir une pensine. Pouvoir retirer ces pensées puis les observer de loin. Les déchiffrer pour mieux les appréhender. Pourtant, c'est dans un noir absolu qu'elle s'enfonce. Se perd. Elle n'en peut plus d'être prisonnière de ce monde. Toujours batailler. Se confronter à des murs. Et ce qui l'énerve le plus en cet instant est cet état de faiblesse qui s'empare d'elle pour mieux la trainer dans un état de léthargie. Elle se sait fragile mais ne trouve pas la force de faire autrement que de s'enfermer dans ses pensées. Dans sa bulle. Elle n'est plus là et rêve d'un ailleurs. Un monde où les barreaux qui l'entourent tombent un à un pour la laisser libre. Un monde où elle serait vivante. Vivante de liberté. Vivre sans difficulté, sans contrainte. Ce monde existera-t-il un jour ? Le parquet grinça sous la pression des pas d'une personne. Elle n'était plus seule mais restait murée dans son silence. Elle sentit Arthur, cela ne pouvait être que lui, s'installer à ses côtés. Aucun mot ne passa la barrière de ses lippes. Des siennes non plus. Elle le sentit s'allonger dans son dos. Son bras protecteur encercla sa taille dans une étreinte rassurante. Elle se lova un peu plus contre lui profitant de la chaleur qui émanait de son corps, de son odeur apaisante. Bientôt Morphée viendrait la border, le flux de ses émotions calmé grâce à sa présence.
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Emportée par les bras de Morphée, Alcyone s'endort dans un sommeil emplis de rêves, de vieux souvenirs. Soudainement, la voix claire de son père lui parvient à ses oreilles. Vielles réminiscence. i
"Laisse ton instinct choisir Alcyone." Les yeux clairs de l'Etoile se posent sur l'établi qui s'offre à ses yeux. Elle a huit ou neuf ans peut-être. Devant elle des armes. De toutes les sortes. Couteaux, arcs, épées, grenades. Pistolet. Ses petits doigts potelés se sont glissés lentement sur chacuns de ces objets. Lentement. Concentrée. Puis ils se sont arrêtés. Sur ce flingue. Petit. Un 9 millimètres. Court. Elle s'en souvient parfaitement car elle l'a regardé comme si c'était la plus belle chose qu'elle ait vu. D'un regard en coin, elle a obtenu l'autorisation de le prendre entre tes mains. Caressant du bout des phalanges le canon, la gâchette. Comme elle l'avait vu faire des centaines de fois, elle a retiré le cran de sécurité. Elle a tiré droit devant elle alors qu'un écureuil passait à ce moment là. A vide. Son père a éclaté de rire et a tapoté sa chevelure de sa main rugueuse visiblement fier de sa progéniture. Alcyone a reposé l'arme avec une mine déçue et puis elle est retournée jouer avec tes peluches. Ce ne serait que bien plus tard que tu t'entrainerais avec son père et son frère ainé.
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Au milieu des limbes de son esprit, un très vieux souvenir traverse ses songes. Elle s'entend compter. Un. Deux. Trois. Quatre. La pointe de son arme suit le rythme effréné de son frère. La silhouette glisse entre l'écorce des arbres. Elle tire et son corps est légèrement rejeté en arrière mais elle commences à maitriser le recul dû à la puissance de l'arme. " Merde ! " s'exclama au loin Arthur qui est à présent tâché d'un poudre rose. Plutôt que de tuer du gibier, ils se servent mutuellement de cible. Les balles enchantées laissent une trace de couleur. Les siennes ? Rose. Elle a beau avoir grandi dans la tradition des de Navars, elle en garde pas moins sa féminité. Elle a seize années au compteur. Les entrainements, c'est elle qui les réclame. Qui les rend plus durs qu'ils ne devraient. Au loin, son frère commence à la courser. Un rire cristallin s'échappe de tes lippes.
" T'es censé être mort ! Même un putain de dragon se relève pas d'une balle en plein cœur ! " Pourtant Arthur n'a pas envie de discuter et la course déjà. Lorsqu'Alcyone finit par ouvrir les yeux, le souffle court, étendue dans le noir, c'est l'image de son visage couvert de boue qui lui revient. Ca et le rire moqueur d'Arthur.
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Cela faisait longtemps que les plaies sur ses mains avaient cicatrisées, les croutes ayant fait place à de fines cicatrices blanches. Cicatrices synonymes de caprices. Le reflet d’Alcyone dans le miroir qui se dresse en face d'elle renvoie une image où la fragilité de la brune est loin d'être visible. D'un geste las, elle ébouriffe ses cheveux, réajuste avec précision son décolleté. Trop montrer serait vulgaire. Pas assez symboliserait la petite prude. Il faut un juste milieu. Dévoiler assez pour donner envie d'en voir plus. Ses prunelles claires aguichent. Ses lèvres rouges se font tentatrices. Un sourire étire ses lippes. Allure sulfureuse et désirable. Bien enveloppée dans sa carapace, Alcyone est prête à affronter le monde. Prête à envoyer promener les premiers garçons trop insistants après les avoir attirés à elle. Prête à affronter les regards noirs de certains sang-pur. Prête à supporter les murmures désapprobateurs. Prête à se tenir droite et fière. Prête à ne pas courber l'échine. Ils vont en baver. Ils vont en chier. Ils vont devoir la supporter.
Elle est prête.
Jusqu'au soir.
Où elle s'effondra sous le poids de ce masque.