Duo 9: Abelam Lestrange & Lyuben Lomek

Depuis quelques temps, le jeune bulgare avait quelques problèmes à dormir sereinement. Son sommeil n'était pas peuplé de cauchemars et monstres jamais vus auparavant – non, rien de tout cela l'embêtait. Mais... chaque matin, il se réveillait dans un noir complet, comme s'il n'avait pas dormi de la nuit – comme s'il l'avait passée à se retourner encore et encore sur un matelas toujours plus poussiéreux. Mais cette fois-là... Rien n'était nouveau, et pourtant rien n'était connu. Il ne savait tout bonnement pas ce qui lui prenait. Cependant, son petit doigt ne lui disait rien de bon. Le noir l'enveloppait, certes. Mais il voyait tant bien que mal des portes par-ci, un autre homme par-là. Mais par-dessus tout... il l'entendait. Il entendait l'eau couler doucement, comme si elle tournoyait doucement derrière ses oreilles, prête à l'engloutir d'un seul coup. Et la panique dansait sur son cœur. S'il avait été plus malin, mieux entraîné, plus intelligent – peut-être qu'il aurait su quoi faire, quel sortilège utiliser, quel être invoquer pour le sauver de là. Mais il n'était rien de tout cela. Ce n'était qu'un pauvre, grand garçon égaré qui avait besoin d'aide.

« Est-ce que... » Il s'était retourné, et sa voix s'était craquée. Ses prunelles brunes étaient fixées sur l'autre, inconnu au jeune homme. « … tu l'entends? » Il y avait tant des questions auxquelles le jeune brun – et son compagnon de mésaventures – devait répondre, mais celle-ci était la plus importante. Il ne voyait pas de fleuve, ni de lac, ni de sortie. Il ne voyait rien du tout, à vrai dire. Il pouvait apercevoir quelques portes, un bras, des jambes. Mais tout cela s'effaçait dès que l'eau l'attaquait une nouvelle fois – et elle ne semblait pas près de s'arrêter. Et pourtant, ses habits étaient secs, ses cheveux aussi, il ne marchait pas dans une quelconque flaque. Mais l'eau était là, et il était sûr de l'entendre juste derrière lui.

Il avait fait un pas de plus vers l'autre homme, mais il n'avait rien fait pour s'en sortir de ce pétrin dans lequel... il ne savait pas si c'était de sa faute. Il ne savait rien. C'était bien plus facile d'affirmer cela que d'essayer de comprendre un quelconque élément dudit pétrin – ce n'était pas faute de moyens, cependant. Il aurait pu ouvrir une porte, toquer, sortir sa baguette magique – était-elle en sa possession? Il n'avait jamais eu le réflexe de la sortir, et il n'allait sûrement pas commencer de sitôt avec des nouvelles habitudes – n'importe quoi l'aurait avancé ne serait-ce que d'un pas. Et pourtant, il restait là, statique, attendant... attendant quoi, il ne le savait pas. Attendant quelque chose. Quelqu'un. N'importe quoi.

Spoiler:

Le deuxième homme ne semblait ni en savoir plus que lui, ni le reconnaître, ni avoir une quelconque idée sur l'endroit où il se trouvait et la situation dans laquelle ils étaient tombés. À vrai dire... il semblait tout aussi égaré que lui. Que faisait un – relativement jeune, il devait avoir son âge – homme aussi bien habillé dans un tel endroit en compagnie d'un tel pouilleux? Lyuben n'avait pas de poux, bien évidemment, mais il ne fallait pas un génie pour deviner que chez lui, l'argent ne coulait pas comme l'eau coule sous les ponts. « Non. Quoi donc? » Justement en parlant d'eau, l'autre ne semblait pas l'entendre. Ou en tout cas, un tel bruit n'était pas digne d'un quelconque intérêt à ses oreilles. Peut-être qu'il en était beaucoup trop éloigné, peut-être qu'il en avait l'habitude – Lyuben n'en savait rien, et il n'était pas sûr de vouloir connaître la réponse à cette question. Après tout, l'idée qu'il ait pu entendre ce qui n'était pas lui faisait peut-être tout aussi peur que l'idée de se noyer.

Visiblement, l'autre homme semblait avoir quelques questions aussi – dont une première, toute aussi énigmatique que celle que Lyuben lui avait posé. « Le cri? » Lyuben n'en avait pas entendu – du moins, il ne s'en rappelait pas, et à moins d'avoir hurlé dans son sommeil... il était presque sûr de ne pas être à l'origine de ce son. « Non. Aucun. » Mais est-ce qu'il avait le temps ou les moyens d'y réfléchir? Pas vraiment. De toute façon, l'autre avait déjà enchaîné avec ses questions – qui n'étaient pas sans lui rappeler une sorte d'interrogatoire. «Qui êtes-vous? Et est-ce que vous savez où on est? Vous avez entendu d’autres gens? » Lyuben n'avait la réponse à aucune de ces questions – exception faite pour la première, bien sûr. « Lomek. Et quant au reste... je n'en sais strictement rien. » Il se retourna une nouvelle fois vers lui, s'apercevant qu'il avait pris le temps de se lever. « Absolument rien. »

Lyuben n'était pas trop sûr de ce qu'il devait faire. Il avait fait quelques pas d'un côté, quelques uns d'un autre, il était retourné où il se trouvait au début – bref, on n'avait pas de mal à comprendre qu'il ne savait pas où se mettre. Il aurait pu expliquer qu'il cherchait de comprendre où il se trouvait, qu'il voulait simplement voir où se trouvait la sortie la plus proche... mais il n'était pas sûr que l'excuse marche. Toujours était-il qu'il avait vu que les seules sorties étaient les huit portes qui les encerclaient – et qu'elles étaient... il ne savait pas trop de quoi elles étaient couvertes. Il savait juste que cela ressemblait beaucoup trop à du sang. Il n'avait aucune envie de s'en approcher mais... même si derrière l'une d'entre elles il y avait un piège mortel, au moins il ne seraient pas bloqués dans une sorte de purgatoire mystérieux, n'est-ce pas? « On peut prendre... » Il s'était lentement retourné vers la troisième porte pour la pointer du doigt, juste avant de regarder l'autre homme. « … cette porte-là. » Ceci étant dit, il n'avait aucune envie de la toucher. Aucune. « Ou... je ne sais pas. On peut aussi se séparer, si tu penses que c'est une meilleure idée. » Lyuben ne l'aurait jamais avoué, mais il aurait préféré mourir avec un inconnu que marcher tout seul vers la mort – histoire au moins d'être avec quelqu'un qui, contrairement à lui, savait ce qu'ils étaient en train de faire.

« Je m’appelle Abelam Lestrange. » La façon de parler de l'autre homme semblait tellement étrangère à la situation – ou en tout cas, étrangère à celle de Lyuben. Bien évidemment, c'était ce à quoi on aurait dû s'attendre au vu de ses habits ou son aspect, mais toujours était-il que le jeune Lomek ressentait le fossé qui les séparait. Il se sentait toujours plus insignifiant, toujours plus pauvre, toujours moins par rapport à celui qui se tenait devant lui. Ceci étant dit, tout cela devenait vain dans le pétrin dans lequel ils se trouvaient. Après tout, qu'est-ce qu'ils pouvaient bien en avoir à faire de leurs origines sociales ou leurs niveaux de vie sachant qu'ils étaient dans une sorte de purgatoire qui leur était inconnu, d'où ils ne savaient comment sortir? Certains auraient sûrement trouvé que tout cela n'effaçait pas les pêchés du jeune Lyuben, mais tout cela n'importait guère à ses yeux. Tout ce qu'il voulait, c'était sortir de là. Et vite, si possible.

Lomek faillit soupirer de joie une fois qu'Abelam prit la parole une deuxième fois. « Je ne pense pas qu’il soit judicieux de se séparer. Vu que nous ne sommes que deux, je dirais que ça augmente nos chances d’y passer si jamais… eh bien… Si jamais cet endroit est dangereux. » Au moins sur ce plan-là, ils semblaient être d'accord. Il n'avait pas très envie de s’aventurer tout seul dans les méandres de l'obscurité, même s'il ne connaissait Lestrange ni d'Adam ni d'Ève. Ceci étant dit, il ne semblait pas avoir plus envie d'explorer le coin que lui. « Allez-y, ouvrez, je suis juste derrière vous. » Lyuben soupira pour de bon cette fois – mais de dépit. À vrai dire, ce soupir était rempli de terreur et insécurités, mais il ne voulait pas que ça s'entende. Fort malheureusement pour lui, il avait toujours été un très mauvais acteur. Il tourna alors la poignée, sifflant une prière entre ses lèvres. Il aurait franchement rigolé s'il n'avait pas été à deux pas de s'évanouir de peur.

La pièce dans laquelle ils étaient rentrés étaient affreusement blanche – Lomek dût plisser les yeux pendant quelques secondes avant de remarquer quoi que ce soit d'autre – en l'occasion, que la pièce était complétement vide, exception faite pour la porte de sortie. Il se tourna vers Abelam, qui était pendant ce temps-là rentré avec lui. Sans un mot, il commença à avancer vers la deuxième porte. Il n'y avait rien pour eux, et sortir était la seule chose qu'ils pouvaient faire. Lyuben pouvait à nouveau respirer normalement – même si la peur nouait toujours son ventre – et il avait presque commencé à papoter avec Lestrange. Rien de bien intéressant ou pertinent, mais juste un bruit de fond pour oublier le silence qui les entourait. « Ce blanc-ci ressemble presque à la neige de chez moi.  M'enfin, elle es- » Il s'arrêta net dans ses propos, à une dizaine de pas de la porte. Et pour cause – sa mère était là, accompagnée de quelqu'un qu'il ne connaissait pas. Et... sa mère avait la gorge tranchée. Et le sang coulait. Et sa peau n'avait jamais été aussi pâle. Et... elle était déjà morte. Et il n'avait rien pu faire. Mais au moins, il n'y avait pas eu de blessure – pas de sang. Et... il était tombé à l'arrière en essayant de reculer rapidement. Et il avait touché Abelam en tombant. Et il ne savait pas quoi faire. Et la peur dans son ventre ne faisait que se concrétiser. Même s'il avait su quels sortilèges utiliser, quels coups employer, il aurait tout simplement été incapable d'en faire usage. Il se retourna, vomissant les restes d'un repas dont il n'avait pas souvenir au sol. Il s'était retourné vers les deux figures saignantes, incapable de regarder ailleurs en dépit de toute sa bonne volonté – mais ses mains bougeaient – lentement, certes – vers la porte d'où Lestrange et lui venait. « Je... Je ne sais pas quoi faire. Vraiment, vraiment, vraiment pas. » Sa voix était étonnamment faible et chargée de peur – le pauvre garçon ne savait vraiment pas quoi faire. Alors, il espérait qu'Abelam sache comment les sortir de ce pétrin, qui empirait à chaque seconde.